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Louis XIV
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Lettre de Guy Patin mentionnant un séjour du roi et de la reine mère à Saint-Germain-en-Laye

« La Reine mere a de mauvaises nuits. Elle va neanmoins avec le Roi à Saint Germain. On dit aussi que ses douleurs s’accroissent, et qu’elles sont plus poignantes que de coutumes. […]
[p. 526] La Reine mere fut hier, ce 26 avril, saignée à Saint Germain pour diminuer la douleur et la fluxion de sa mamelle ; elle s’est ennuyée à Saint Cloud, aussi fait elle à Saint Germain ; on dit qu’elle se fera ramener au Bois de Vincennes. […]
[p. 527] Je viens d’apprendre que le Roi et les Reines quittent Saint Germain, et que toute la cour revient au Bois de Vincennes. »

Récit de la venue de Bernin à Saint-Germain-en-Laye

« [p. 15] M. Colbert est venu le lendemain, jour de la Fête-Dieu, prendre le Cavalier, comme il l'avait dit. Les seigneurs Paule et Mathie, l'abbé Butti et moi sommes entrés dans son carrosse. Il y avait un carrosse de la suite du Roi pour les gens du Cavalier. L’on est arrivé à Saint-Germain à neuf heures du matin. M. Colbert a été descendre chez lui, au vieux château, et y a été quelque temps avec le Cavalier, puis il l'a mené au château neuf, où est le logement de S. M. et des Reines. En entrant dans l'antichambre, l'on a appris que le Roi n'était pas encore habillé. M. Colbert est entré dans la chambre, et, après en être ressorti, il nous a fait faire le tour et a mené le Cavalier dans le cabinet de S. M., où étaient MM. les maréchaux de Gramont, du Plessis et autres personnes de haute qualité. Là, il s'est entretenu avec eux. Le Roi étant tout habillé, M. Colbert a fait entrer le Cavalier dans la chambre, et lui a fait saluer S. M., qui s'était mise à la croisée d'une fenêtre, avec le premier gentilhomme de sa chambre et le maître de la garde-robe. Le maréchal de Gramont y était aussi. Le Cavalier a fait son compliment au Roi avec une honnête hardiesse, et a dit à S. M., comme il avait fait à M. Colbert, les sujets qui l'avaient principalement engagé de venir en France. Après, venant au sujet du bâtiment du Louvre : « J'ai vu, Sire, a-t-il dit à S. M., les palais des empereurs et des papes, ceux des princes souverains qui se sont trouvés sur la route de Rome à Paris, mais il faut faire pour un roi de France, un roi d'aujourd'hui, de plus grandes et magnifiques choses que tout cela. » Puis, se tournant vers ceux qui faisaient cercle autour du Roi, il a ajouté : « Qu'on ne me parle de rien qui soit petit. » A cela, le Roi a pris la parole et a dit qu'il avait quelque affection de conserver ce qu’avaient fait ses prédécesseurs, mais que si pourtant l'on ne pouvait rien faire de [p. 16] grand sans abattre leur ouvrage, qu'il le lui abandonnait ; que pour l'argent il ne l'épargnerait pas. S. M. ensuite lui a fait toute sorte de bon accueil. Puis M. Colbert l'a ramené au vieux château. L'on avait tendu dans les cours les tapisseries de la couronne pour la procession du Saint-Sacrement (car c'était le jour de la Fête-Dieu) celle des Actes des Apôtres, les Triomphes de Scipion et les autres du dessin de Jules Romain. Après que le Cavalier les a eu considérées et trouvées fort belles, il m'a prié de le mener à la chapelle, où il est demeuré longtemps en prière, et, après la cérémonie, il a diné au chambellan avec M. Colbert et nous autres aussi. Il s'est, au sortir de table, allé reposer à la mode d'Italie, dans l'appartement de M. de Bellefonds. Sur le soir, M. Colbert l’aramené à Paris. »

Fréart de Chantelou, Paul

Récit de la participation de Louis XIV à la procession du Saint-Sacrement à Saint-Germain-en-Laye

« Le 4e jour de juin 1665, le Roy honora la parroisse de sa presence pour la procession de la feste du saint sacrement qui escheoit aud. jour, accompagné de la Reyne, de Monsieur, son frere, de Madame, des princes et princesses, seigneurs et dames, de plusieurs archevesques et evesques et autres officiers de Leurs Majestez, lad. procession faicte et messe haute et solemnelle chantée ensuitte par maistre Pierre Cagnyé, ancien curé de ce lieu de Saint Germain en Laye, ausquels divins offices entierement assisterent Leurs Majestez avec grande devotion et à la grande edification et joye de touts les assistants. »

Lettre de Guy Patin mentionnant le séjour du roi à Saint-Germain-en-Laye

« Le Roi est à Saint Germain, et on croit qu’il y sera encore tout le mois prochain, pour obliger d’autant plus la Reine à garder le lit encore longtemps que pour empecher ainsi l’accouchement avant terme. M. le premier president et le parlement ont revu la pretendue reformation de la chicane ; ils ont pourtant renvoyé le cahier à Saint Germain avec tres [p. 631] humble priere au Roi de vouloir bien revoir quelques observations qu’ils y ont faites. »

Acte de baptême de Louis Milet dans la chapelle du Château-Vieux de Saint-Germain-en-Laye, le roi étant son parrain

« Le 5e jour de novembre 1666, furent suplées les ceremonies du saint sacrement de baptesme en la chapelle du chasteau vieil de Saint Germain en Laye par maistre Nicolas Cagnyé, prestre, bachelier en theologie curé dud. lieu, à Louys, natif de la parroisse de Vernouillet, né du mardy 20e de juillet dernier passé et ondoyé par le sieur vicaire de lad. parroisse de Vernouillet le deuxiesme jour d’aoust aussi dernier passé comme il appert par son certificat en datte du mesme jour, signé au bas Godron et paraphé, avec la permission de monsieur l’evesque de Chartres en datte du premier jour dud. mois d’aoust, fils d’honorable homme Claude Milet, cocher du corps du Roy et de Barbe Mesnil, sa femme, le parrein tres grand, puissant et invincible monarque Louys Dieudonné, fils aisné de l’Eglise, 14e du nom, roy de France et de Navarre, present en personne, qui a donné et nommé de son nom de Louys led. baptisé, la marreine haute et puissante dame madame Louyse de Prie, veufve de haut et puissant seigneur messire Philippes de La Motte Houdancourt, vivant duc de Cardonne, pair et mareschal de France, gouvernante de monseigneur le Dauphin et des autres Enfants de France. »

Acte de baptême de Louis Portail dans la chapelle du Château-Vieux de Saint-Germain-en-Laye, le roi étant son parrain

« Le 14e jour de novembre 1666, furent suplées les ceremonies du saint sacrement de baptesme dans la chapelle du chasteau vieil de Saint Germain en Laye par maistre Nicolas Cagnyé, prestre, bachelier en theologie curé dud. lieu, à Louys, natif de la ville de Paris, né du mardy 13e jour d’avril dernier passé à midy et ondoyé, fils de messire Paul Portail, comte de Lusignan, seigneur des chastelnies de Chatou et de Montesson, conseiller en la cour de parlement, et de dame Charlotte de Barbesieres Chemerreau, sa femme, fille d’honneur de tres haute, tres excellente princesse et tres puissante Anne, par la grace de Dieu reyne mere du Roy, le parrein present en personne tres haut, tres excellent, tres puissant et tres magnanime prince Louys, par la mesme grace de Dieu roy de France et de Navarre, la marreine tres haute et tres puissante princesse madame Henriette Anne, duchesse d’Orleans, espouse de tres haut et tres puissant prince monseigneur Philippes, fils de France, frere unicque du Roy, duc d’Orleans. »

Lettre de Guy Patin mentionnant un séjour du roi à Saint-Germain-en-Laye après la mort de sa mère

« Aujourd’hui, ce 20 janvier, je vous ecris la mort de la Reine mere, qui est arrivée cette nuit du 20 janvier. Mais je ne sais quel chemin elle peut avoir pris : trouvera t elle en l’autre monde le cardinal Mazarin ? […] Des qu’elle est morte, le Roi est allé à Versailles : c’est pratiquer le precepte du Seigneur, sinite mortuos sepelire mortuos. Il a emmené quant et soi la jeune Reine sa femme, et M. le duc d’Orleans et sa femme s’en sont allés à Saint Cloud. […]
[p. 580] Le Roi et la Reine seront demain à Saint Germain en Laye, et le corps de la Reine mere sera porté sans ceremonie à Saint Denis. »

Acte de baptême du fils de la nourrice du dauphin dans la chapelle du Château-Vieux de Saint-Germain-en-Laye, le roi étant son parrain

« Le 4e jour de may 1667, furent supplées les ceremonies du saint sacrement de baptesme à Louys, né du premier jour de juillet 1666 et ondoyé par M. le curé de ce lieu de Saint Germain en Laye (avec la permission de M. d’Orleans, grand vicaire en ce mesme lieu) dans le chasteau neuf, lieu de sa naissance, et lesd. ceremonies administrées dans la chapelle du chasteau vieil par M. l’abbé de [vide], aumosnier du Roy, avec la permission et consentement dud. sieur curé, y present en son habit d’eglise avec l’estolle au col, et led. Louys fils de noble homme [vide] et de dame [vide], nourrisse de monseigneur le Dauphin, Fils aisné de France, le parrein tres puissant et magnanime prince Louys XIIII du nom, tres chrestien roy de France et de Navarre, present, et qui a donné son nom aud. baptisé, la marreine damoiselle [vide], fille de haut haut et puissant seigneur Philippes de La Motte Houdancourt, vivant duc de Cardone, pair et mareschal de France, et de madame Louyse de Prie, son espouse, et à present sa veufve, gouvernante de mond. seigneur le Dauphin, de Madame royalle et des autres Enfants de France. »

Lettre de Guy Patin mentionnant le départ du roi de Saint-Germain-en-Laye

« Aujourd’hui au matin, ce 16 mai, est mort à Saint Germain M. Guenaut d’une apoplexie ; Dieu n’a pas permis que le vin emetique le sauvat, lui qui en a autrefois tant tué avec ce poisson et avec le laudanum chymisticum.
Le Roi est aujourd’hui parti de Saint Germain et a pris le chemin d’Amiens pour faire un grand voyage. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, donnant des nouvelles de la cour à Saint-Germain-en-Laye

« De Paris, le 29 septembre 1667
[…]
La cour est assez mélancolique à Saint Germain ; le Roi y négocie, joue souvent à la paume, et des cinq à six heures de suite il va à la chasse pour le vol et fait l’amour ; l’on en parle si diversement que l’on à peine à croire ce que chacun en dit. »

Lettre de Guy Patin mentionnant un incident lié à une revue de troupes faite par le roi à Saint-Germain-en-Laye

« Quinze soldats de la compagnie dite des royaux ont eté noyés au lac de Conflans, pres de Saint Germain et Andrezy, qui venoient pour la revue que le Roi a fait faire pres de Saint Germain ; dans la plaine de Houille. Le vaisseau, qui etoit trop chargé, s’est entr’ouvert par le milieu ; ils en sont tous morts, et ont eté repechés le lendemain. Le Roi est fort faché de cette perte. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, concernant sa réception à Saint-Germain-en-Laye

« De Paris, le 6 mai 1667
Monseigneur,
Hier, M. Giraud me vint avertir qu’il me viendrait prendre aujourd’hui dans les carrosses du Roi et de la Reine pour me mener à Saint Germain. Nous sommes partis ce matin à six heures ; tout ce qu’il y avait ici de personnes de qualité de Piémont et de Savoie ont pris la peine d’y venir et tous en habits neufs et très lestes.
Nous sommes arrivés à Saint Germain à neuf heures ; nous avons trouvé à la descente du carrosse M. de Bonneuil, introducteur, qui nous a conduits à la chambre où l’on attend l’heure du Roi ; à dix heures et demie, j’ai été conduit à l’audience et j’ai su par M. de Bonneuil que je pouvais parler d’affaires au Roi, parce qu’il veut se décharger d’embarras, croyant de partir bientôt.
[p. 19] J’ai été conduit dans la chambre du Roi dans la manière accoutumée. Je l’ai trouvé assis dans sa ruelle, le chapeau sur la tête, vêtu d’un justaucorps de velours noir, une demi veste de dorure, et une canne à la main. Il y avait dans le balustre le duc de Bouillon et le comte du Lude, et dehors, à l’entrée, M. de Lionne et M. de Charost, capitaine des gardes, et la chambre était si pleine que j’ai eu peine à passer. J’ai fait une profonde révérence au Roi, il a levé son chapeau, puis l’a remis ; je lui ai fait les compliments de Votre Altesse royale et lui ai remis sa lettre. Il me semble qu’il n’avait point sa fierté accoutumée, mais un visage fort doux ; il m’a dit : « Il y a longtemps que je suis persuadé de l’amitié de M. le duc de Savoie, je voudrais bien pouvoir lui témoigner celle que j’ai pour lui et la passion que j’ai pour son service », puis qu’il avait bien été fâché de la [p. 20] mort de feu M. le comte de La Trinité, mais qu’il avait bien de la joie de me voir. Je lui ai après fait les compliments de Madame Royale ; il y a répondu avec de grandes marques d’estime. Il m’a demandé l’état de santé de Votre Altesse royale et de monseigneur le prince. Après lui avoir répondu qu’elles étaient parfaites, je lui ai expliqué fort au long le sujet pour lequel Votre Altesse royale m’a envoyé à lui et lui ai fait une grande déduction des affaires de Genève ; je n’y ai pas oublié une circonstance et je lui ai dit à peu près les mêmes choses que je dis à M. de Lionne quand je le vis. Le Roi ne m’a [p. 21] jamais interrompu et m’a écouté attentivement plus d’un quart d’heure, puis m’a dit qu’il ferait sur ce sujet tout ce que vous désireriez de lui, mais qu’il lui semblait que vous souhaitiez un aimable. Je lui ai dit que Votre Altesse royale ferait tout ce qu’il vous conseillerait pourvu que votre réputation fût à couvert ; il m’a expliqué qu’il songerait aux moyens pour vous faire donner les satisfactions qui sont dues à Votre Altesse royale et que pour tout ce que j’aurais à lui expliquer de la part de Votre Altesse royale, que je n’avais qu’à parler à M. de Bonneuil pour l’avertir et qu’il m’écouterait toujours volontiers. Je me suis congédié de lui et, en quittant, il m’a chargé de bien assurer Madam Royale de son amitié et de son estime. Je lui ai présenté les gentilshommes qui étaient avec moi, puis je me suis retiré à la chambre où j’avais mis pied à terre. M. le marquis de Cœuvres m’y est [p. 22] venu entretenir, et après lui M. le marquis de Bellefonds. Ce sont deux des hommes les plus accrédités à la cour pour leur sagesse et pour la guerre et tous deux bons et véritables serviteurs de Votre Altesse royale.
Nous avons dîné à la table de M. de Bellefonds, puis j’ai été conduit à l’audience chez la Reine. Je lui ai fait les compliments de Votre Altesse royale, remis sa lettre et celle de Madame Royale. elle les a reçus avec joie, elle m’a témoigné grande estime pour Vos Altesses royales et passion de les servir, et, si je ne me trompe, elle a amitié pour vous deux ; c’est une princesse accueillante et qui est belle.
A cause du prompt voyage de la cour, M. Giraud m’a conseillé de présenter aujourd’hui le tambour, si bien qu’allant à l’audience chez monsieur le Dauphin, où j’y ai trouvé les gardes sous les armes et l’officier des gardes qui les commande à la porte, et lui assis et couvert, il a levé son chapeau. Je lui ai fait la révérence et compliment de la part de Votre Altesse royale ; il s’est puis levé, le chapeau à la main, et madame [p. 23] la maréchale de La Mothe a répondu comme en l’instruisant de ce qu’il devait dire. Je lui ai après présenté le tambour, il en a été ravi, il a fallu le lui pendre au col, lui expliquer tout ; il en est empressé tout à fait et le présent a été trouvé le plus beau, le plus galant, le mieux inventé et le plus riche qui se puisse voir ; chacun court chez monsieur le Dauphin pour le voir ; l’on admire aussi les vers. Monsieur le Dauphin est un beau prince, [p. 24] un esprit vif, parle bien, mais il est opiniâtre et ne craint que le Roi ; il porte les chausses et la perruque.
De là, j’ai été conduit chez la petite Madame ; elle est tout à fait belle et bien nourrie. J’ai adressé ma parole à madame la maréchale de La Mothe et, après les compliments, parlant de sa santé et de sa beauté, je lui ai dit que nous serions bienheureux en Savoie et en Piémont si la petite Madame prenait l’inclination pour ces pays là qu’avaient mesdames Marguerite et Chrétienne, toutes deux Filles de France. Elle m’a répondu [p. 25] qu’elle souhaiterait fort des choses pareilles comme avantageuses à Madame.
Au sortir de là, nous sommes montés en carrosse et arrivés ici à sept heures. Je solliciterai à avoir mes audiences de Monsieur et de Madame d’Orléans, puis de Madame, la douairière.
[…]
[p. 28] Je viens de savoir d’un de mes amis qui vient de Saint Germain qu’après mon départ monsieur le Dauphin, conduit par madame la maréchale de La Mothe, a porté le tambour dans le Conseil, que le Roi et les ministres ont été plus de demi heure à le considérer et qu’ils l’ont admiré. Chacun demeure d’accord que l’on ne peut rien faire de plus mignon à Paris. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, concernant le séjour de la cour à Saint-Germain-en-Laye

« De Paris, ce 29 avril 1667
Monseigneur,
J’arrivai ici mardi à six heures après midi. Dès le lendemain, je me mis en état de servir Votre Altesse royale et je vis pour cela M. Giraud, pour concerter avec lui la manière de faire savoir au Roi mon arrivée et de me préparer pour avoir audience de lui. Nous résolûmes que j’écrirais et enverrais un gentilhomme à de M. Lionne pour savoir de lui quand je le pourrais (p. 2] voir. Hier, je mandai le sieur Chappuys, mon secrétaire, à Saint Germain ; il présenta ma lettre à ce ministre et lui exposa sa commission. M. de Lionne lui dit qu’il avait beaucoup de joie de mon arrivée, qu’il ne voulait pas que j’allasse à Saint Germain, que le Roi lui permettra de venir samedi ici et qu’il m’attendrait tout le jour chez lui, si bien que demain je tiendrai un laquais à sa porte, et soudain que je saurai son arrivée, j’irai le visiter de la part de Votre Altesse royale, lui présenter sa lettre et l‘entretenir du sujet pour lequel Votre Altesse royale m’a envoyé en ce pays. Cependant, je me mets et mon équipage en état de pouvoir aller et paraître à Saint Germain, où tout ce qui veut faire sa cour fait une résidence actuelle et d’où les ministres ne sortent pas.
J’ai vu mesdames les princesses de Carignan [p. 3] et comtesse de Soissons, qui ont reçu avec des marques de respect les lettres que je leur ai présentées de la part de Votre Altesse royale. Je n’ai pas vu madame la princesse de Bade, elle est à Saint Germain. M. le comte de Soissons a eu aussi les mêmes soumissions et reconnaissances pour la lettre de Votre Altesse royale que je lui ai présentées ; il m’a offert ici ses sollicitations pour le service de Votre Altesse royale et je crois qu’elles ne seraient pas inutiles, car il a du crédit auprès de M. de Lionne.
[…]
[p. 6] Comme je n’ai pas encore été à la cour, je sais peu des nouvelles du cabinet ni des intrigues qu’il y a. L’on assure que la Reine est enceinte, [p. 7] ce qui l’empêchera de suivre le Roi, car assurément il marchera à la moitié du mois prochain ; que si la Reine n’est pas enceinte, elle ira à Compiègne et en ce cas là les dames, et notamment mademoiselle de La Vallière ; sinon elle se retirera aux champs avec quelque dame de qualité pendant l’absence du Roi. L’on dit qu’elle déchoit beaucoup de sa beauté et qu’elle est fort maigre. Il ne va quasi plus personne chez elle ; elle devient d’une humeur fort altière et au camp de Houilles, où elle a été fort souvent à la suite de la cour et où elle a été fort leste, elle a toujours été fâchée contre le Roi de ce qu’il ne l’y a jamais abordée, car Sa Majesté n’y quitta jamais la Reine, et l’on croit que si cette demoiselle continue à être de cette humeur, qu’elle se perdra. »

Acte de baptême de Louis Gouffier de Crévecœur dans la chapelle du Château-Vieux de Saint-Germain-en-Laye, le roi étant son parrain

« Le mercredy 9e jour de mars 1667, furent supplées les ceremonies du saint sacrement de baptesme dans la chapelle du chasteau vieil de Saint Germain en Laye par M. l’abbé Le Camus, aumosnier du Roy, avec la permission de M. le curé, y assistant, l’estolle au col, à Louys, né du 18e avril 1654, natif de la ville de Paris, baptisé et ondoyé sans les autres ceremonies ordinaires par M. le curé dud. lieu de Crevecoeur (selon qu’il nous est apparu par son certificat en date du 3e mars 1667), fils de messire Nicolas Alexandre Gouffier, marquis de Crevecoeur, et de madame Isabelle de La Roderie, son espouose, le parrein tres puissant monarque Louys 14e, fils ainsé de l’Eglise, roy tres chrestien de France et de Navarre, la marreine madame d’Armagnac. »

Acte de mariage du duc de Guise et d’Élisabeth d’Orléans à Saint-Germain-en-Laye

« Le 4e jour de may 1667, furent supplées les ceremonies du saint sacrement de baptesme à Louys, né du premier jour de juillet 1666 et ondoyé par M. le curé de ce lieu de Saint Germain en Laye (avec la permission de M. d’Orleans, grand vicaire en ce mesme lieu) dans le chasteau neuf, lieu de sa naissance, et lesd. ceremonies administrées dans la chapelle du chasteau vieil par M. l’abbé de [vide], aumosnier du Roy, avec la permission et consentement dud. sieur curé, y present en son habit d’eglise avec l’estolle au col, et led. Louys fils de noble homme [vide] et de dame [vide], nourrisse de monseigneur le Dauphin, Fils aisné de France, le parrein tres puissant et magnanime prince Louys XIIII du nom, tres chrestien roy de France et de Navarre, present, et qui a donné son nom aud. baptisé, la marreine damoiselle [vide], fille de haut haut et puissant seigneur Philippes de La Motte Houdancourt, vivant duc de Cardone, pair et mareschal de France, et de madame Louyse de Prie, son espouse, et à present sa veufve, gouvernante de mond. seigneur le Dauphin, de Madame royalle et des autres Enfants de France. »

Lettre de Guy Patin mentionnant le séjour du roi à Saint-Germain-en-Laye

« Trainel, fils d’un papetier devant le Palais, agé d’environ vingt huit ans, apres avoir eté condamné au Chatelet, a été transferé à la Conciergerie. Enfin, apres environ un mois de temps, son appel a eté jugé à la Tournelle, et la sentence confirmée ; tot apres on a apporté au president de la Tournelle, qui est M. Le Coigneux, une lettre de cachet, par laquelle le Roi veut que l’execution soit sursise. Des le lendemain (ce 25 fevrier), messieurs de La Tournelle ont envoyé des deputés au Roi pour lui faire entendre la justice de leur arret. M. le president Le Coigneux a donc eté à Saint Germain, où il a eté bien reçu du Roi et bien ecouté. M. Renard, conseiller de la grand chambre et rapporteur du proces, y estoit aussi. »

Lettre de Guy Patin mentionnant une revue de troupes faite par le roi à Saint-Germain-en-Laye

« Le Roi veut faire faire la revue à ses 10000 hommes, quatre ou cinq jours durant, dans la plaine de Houille entre Saint Germain, Sartrouville et Argenteuil, où il fera voir une belle representation de la guerre aux dames de la cour, qui aiment de tels combats, où l’on s’echauffe jusqu’à la sueur meme, mais où l’on ne tue personne. Apres cette revue faite, on dit que les troupes ont ordre de marcher au rendez vous qui leur sera assigné. Mais où sera ce ? Personne ne le sait que ceux qui commandent, et je ne puis encore me persuader que ce soit en Flandre, et plut à Dieu que ce fut plutôt contre le Turc. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, concernant une audience du roi à Saint-Germain-en-Laye

« A Paris, le 7 octobre 1667
Je reçus dimanche l’honneur de la lettre de Votre Altesse royale du 24 septembre dernier et le lundi j’allai à Saint Germain ; j’avais été averti par les introducteurs que Sa Majesté me donnerait une audience. J’y arrivai à neuf heures du matin, quoique l’on ne m’eût averti que pour dix. Le Roi [p. 145] était déjà au Conseil ; il me fit appeler, je lui parlai seul à seul dans son cabinet et lui dis mot à mot le compliment que Votre Altesse royale m’avait chargé de lui faire. Le Roi avait le visage assez riant, il me répondit qu’il était déjà très persuadé de l’amitié qu’Elle a pour lui, que je pouvais assurer Votre Altesse royale de la sienne et que dans les occasions de son service elle en recevrait des véritables marques.
Je lui présentai ensuite le placet et l’arrêt pour les gentilshommes et magistrats, secrétaires d’Etat et contrôleurs des guerres de Savoie qui ont du bien en Bresse et en Dauphiné.
A même temps, je lui présentai aussi la lettre que Votre Altesse royale lui a écrite en faveur de M. Marquisio, avec le placet et le mémoire des services de celui ci et qu’il m’avait remis ; je l’accompagnai de tous les bons offices possibles. Le Roi me répondit qu’il verrait le tout, puis je me congédiai et, comme j’étais déjà à quatre pas de lui, il m’appela en venant à moi et me dit fort obligeamment : « Monsieur, je vous prie de vous ressouvenir d’écrire à monsieur de Savoie ce que je vous ai dit touchant notre amitié, et que ce sont [p. 146] des mouvements du cœur ». Je l’en remerciai et l’assurai des partialités que Votre Altesse royale a pour sa personne et un zèle passionné pour son service.
Il est certain que l’on ne s’est pressé de déclarer monsieur le Prince que pour faire connaître à M. de Turenne que l’on avait d’autres capitaines en France ; il veut tout faire à sa mode et indépendamment de tout le monde ; il est à Enghien, où il ne fait que ruiner le pays.
J’ai reçu la lettre pour madame de Villequier et les ordres pour faire les compliments à messieurs Le Tellier et de Louvois : je croyais, lundi que je fus à Saint Germain, de les exécuter ; comme je vis le Roi et après dîner M. de Lionne qui m’avait donné heure, je croyais après cela de voir ces messieurs, père et fils, mais ils sortirent d’abord qu’ils eurent dîné dans un carrosse à six chevaux ; mais à Saint Germain, la nouvelle était publique des honneurs et des caresses que Votre Altesse royale a faits M. l’abbé Le Tellier ; M. son [p. 147] père, ses frères et ses parents, s’en sont loués hautement et M. le marquis de Villequier, qui est présentement de quartier, m’en parla à la messe du Roi avec des termes d’une reconnaissance très respectueuse. Je lui dis que j’étais en partie là pour visiter messieurs Le Tellier et de Louvois et pour les remercier des témoignages et assurances que cet abbé avait donnés à Votre Altesse royale de leur amitié.
Quand j’arrivai ici, quoiqu’il fût fort tard, j’envoyai chez M. Le Tellier pour savoir s’il était en cette ville ; il se trouva qu’au partir de Saint Germain, il était allé à une maison qu’il a à trois lieues de là. Le lendemain au matin j’eus un page de madame de Villequier, qui vint savoir à quelle heure elle me pourrait trouver et soudain après le [p. 148] dîner elle fut céans ; elle déploya toute sa rhétorique et, l’accompagnant de tous ses charmes, elle me témoigna les obligations qu’elle avait à Vos Altesses royales pour les honneurs que vous avez faits à son frère. »

Récit de la participation de Louis XIV à la procession du Saint-Sacrement à Saint-Germain-en-Laye

« Le 31e et dernier jour de may 1668, feste du saint sacrement, le Roy feist l’honneur (estant à Saint Germain en Laye) à la parroisse d’assister à la procession solemnelle qui se feist longue à l’ordinaire et entiere, sans que Sa Majesté voulut que l’on en retranchast rien (comme l’on l’eust bien voulu pour son soulagement), et accompagnerent Sad. Majesté à lad. procession (la Reyne n’en ayant pu estre pour l’incommodité de sa grossesse) Son Altesse royale M. le Prince, M. le Duc son fils, M. le mareschal de Grammont et plusieurs autres princes et seigneurs et dames de sa cour avec plusieurs prelats, evesques, aumosniers et officiers de sa suitte et le tout faict avec grande magnificence et tesmoignage de devotion et à l’edification d’une infinie multitude de peuple qui y survint de toutes partes, et au retour de lad. procession fut chantée la messe de parroisse à laquelle assista encore entierement Sa Majesté avec touts les susd. prelats, princes et seigneurs, dames et officiers de sad. Cour, et tout ce divin office faict par M. Nicolas Cagnyé, prestre, bachelier en theologie, curé de ced. lieu, assisté de son clergé. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, donnant des nouvelles de la cour à Saint-Germain-en-Laye

« Paris, le 27 juillet 1668
L’on attend à Saint Germain l’accouchement de la Reine ; l’on la saigna vendredi dernier pour le rendre heureux et facile. Le Roi n’en bouge pas. Il est chagrin de ce que tout le monde dit qu’il lui doit arriver quelque grand malheur et surprenant, sans que l’on puisse pénétrer d’où procède cette pensée. L’affaire de la femme qui lui dit des injures l’a beaucoup fâché, aussi bien que l’emportement d’un gentilhomme qui en dit beaucoup de mal. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, concernant le retour du roi à Saint-Germain-en-Laye

« De Suresnes, le 26 octobre 1668
Je reçus dimanche la lettre que Votre Altesse royale m’a fait l’honneur de m’écrire le douzième de ce mois, dans laquelle j’ai vu avec joie qu’elle goûtait les délices de la Vénerie royale en parfaite santé pendant ces beaux commencements d’automne. Le Roi arriva le même jour à Saint Germain de son voyage de Chambord, fort satisfait des beautés de ce lieu là, des chasses qu’il y a faites et encore plus, à son arrivée, de voir le Dauphin, qui a fait un notable changement pendant leur séparation. Il fut à la rencontre de Leurs Majestés à la dînée la plus proche de Saint Germain, il leur fit si bien sa cour et les entretint si galammant qu’elles en furent émerveillées, et lui demeura aussi très content des caresses que lui firent et le Roi et la reine. En sortant de carrosses, il appela M. de Montausier, [p. 238] lui dit avec sa gentillesse ordinaire qu’il était fort satisfait du Roi et qu’il l’avait traité fort honnêtement.
Le Roi, le soir avant son arrivée, coucha à Linas, où il fut surpris avec joie lorsque M. de Turenne lui déclara qu’il voulait faire abjuration de sa créance et se réduire dans le giron de l’Eglise romaine, ce qu’il exécuta mardi matin entre les mains de M. l’archevêque de Paris dans la chapelle de l’archevêché, puis alla se confesser, entendre messe et se communier à Notre Dame, et de là à Saint Germain, où le Roi l’embrassa et lui fit toutes les caresses possibles et où toute la Cour le complimenta. […]
[p. 240] Je fus mercredi à Saint Germain pour y faire ma cour au Roi, à son lever. Il y avait si grand monde que l’on ne pouvait se tourner dans sa chambre. J’eus grande peine à m’en approcher, tellement tout le monde s’empresse de se faire voir à lui. Ses courtisans, en pareille rencontre, ont peu de déférence pour les étrangers. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, donnant des nouvelles de la cour à Saint-Germain-en-Laye

« De Paris, le 2 mars 1668
[…]
[p. 184] La comtesse de Saint Maurice fut lundi à Saint Germain ; il y eut quantité de princesses et de duchesses qui attendaient la Reine dans sa chambre pendant qu’elle dînait ; le Roi y entra le premier et, saluant les dames, commença par madame la princesse de Carignan, puis il alla droit à la comtesse de Saint Maurice ; la Reine lui fit aussi l’honneur de la mener promener dans son carrosses. Elle nous témoigne mille bontés et je sais qu’elle a de l’estime pour Votre Altesse royale et qu’elle aime Madame Royale. »

Acte de baptême de Louis de Mailly dans la chapelle du Château-Vieux de Saint-Germain-en-Laye, le roi étant son parrain

« Le 24e jour de may 1668, furent supplées les ceremonies du saint sacrement de baptesme dans la chapelle du chasteau vieil à noble adolescent Louys, aagé de 16 à 18 ans ou environ, fils de M. Louys de Mailly et de madame Anne de Mouchy, son espouse, le parrein tres grand et puissant monarque Louys de Bourbon, 14 du nom, roy de France et de Navarre, la marreine tres haute et tres illustre princesse Anne Marie Louyse d’Orleans, duchesse de Montpensier, souveraine de Dombe, et lesd. ceremonies suplées par M. l’abbé de Chavigny, present et y assistant en surplis avec l’estolle au col M. le curé de Saint Germain en Laye. »

Acte de naissance du duc d’Anjou à Saint-Germain-en-Laye

« Le 5e jour d’aoust 1668, fut les 8 heures trois quarts du matin, nasquit dans le chasteau vieil de Saint Germain en Laye le second fils de France monseigneur le duc d’Anjou, et sa naissance suivie et accompagnée de acclamations et resjouissances publicques apres le Te Deum et chanté en l’eglise parroissialle, par ordre de M. le curé, en action de graces à Dieu, et le soir en furent aussi faicts les feus de joye par toutes les rues avec chandelles mises par toutes les fenestres. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, concernant le fort Saint-Sébastien près de Saint-Germain-en-Laye

« A Paris, le 5 juillet 1669
Mercredi, j’allai au lever du Roi. Messieurs de Turenne, le maréchal du Plessis et le Grand Prieur [p. 319] me dirent que le lendemain il y avait revue générale des troupes de la Maison du Roi, que je ferais plaisir à Sa Majesté d’y aller et d’y mener avec moi M. le marquis de Saint Damien. Comme nous nous préparions hier matin pour y aller, je reçus un billet du maréchal de Bellefonds, qui m’écrivait la même chose, que le Roi dînerait au fort et que si nous nous y trouvions à bonne heure, que nous mangerions avec Sa Majesté. Nous passâmes à Saint Germain, fûmes au lever du Roi et puis nous acheminâmes au camp.
Le Roi, qui va avec sa diligence ordinaire, nous passa en chemin. Il était seul dans sa calèche et, nous rencontrant, nous salua fort civilement. Mettant pied à terre devant ses tentes, nous y trouvâmes le maréchal de Bellefonds. Je lui témoignai que Votre Altesse royale aurait reconnaissance de l’honneur qu’il procurait au marquis de Saint Damien. Il me fit connaître que c’était lui qui l’avait proposé à Sa Majesté, sur ce qu’Elle avait [p. 320] souhaité que l’ambassadeur d’Angleterre et mois dinassions là avec Elle. Quand j’entrai dans la tente où était le Roi, il m’aborda et me dit que nous y aurions chaud ; je lui répondis que l’on le considérait peu quand on avait l’honneur d’être auprès de lui, que je savais combien ses tentes étaient commodes et pompeuses depuis l’avantage que j’avais eu de le suivre en Flandre où, par ses fatigues et ses travaux, il nous avait fait voir qu’il ne fallait pas avoir égard au temps et à ses incommodités quand il s’agissait de la gloire. Il se mit à tire et me dit tout haut que, comme j’étais de ses amis, je le faisais plus brave qu’il n’était. Il me fit l’honneur de m’entretenir le long de tout son appartement de choses indifférentes du fort et que je savais comme il était fait, que j’y avais déjà été dîner avec M. de Chaulnes.
Monsieur arriva, et avec lui l’ambassadeur d’Angleterre. Il demanda d’abord sa viande. Quand on eut servi, je considérai que M. le duc de Guise [p. 321] se tenait fort proche de la personne du Roi. Je voulus observer le parti que prendrait l’ambassadeur d’Angleterre pour se placer, afin que j’en pusse faire de même. Le bon ambassadeur, qui veut disputer le pas à monsieur le Prince, laissa prendre la seconde place audit duc de Guise, qui était à la gauche du Roi, Monsieur à la droite, auprès duquel ledit ambassadeur se mit. Je jugeai qu’il ne me fallait pas mettre auprès de lui. Je me plaçai entre les ducs de Bouillon et de Luxembourg. Ils se retirèrent pour me faire place et M. de Bellefonds me dit de me mettre auprès de M. de Montaigu. Je n’y voulus pas aller et dis tout haut qu’il n’y avait pas de rang à la table de Sa Majesté et que l’on dînerait bien dans tous les endroits. Nous avions tous le chapeau sur la tête, sauf le Roi et Monsieur. Il but la santé du roi de la Grande Bretagne qu’il porta à M. de Montaigu, puis celle de Votre Altesse royale, qu’il me porta ; nous étions vingt à table, tous la burent chapeau bas.
Il monta à cheval une heure après midi et nous allâmes voir ses troupes, qui étaient en bataille sur une ligne. Il y avait plus de deux mille cinq [p. 322] cents chevaux et près de neuf mille hommes de pied en seize escadrons et quatorze bataillons ; l’artillerie était en tête de l’infanterie ; nous vîmes et revîmes les troupes par une chaleur et poussière des plus incommodes. Le Roi parla souvent à M. le marquis de Saint Damien, comme aussi Monsieur, messieurs de Turenne et de Louvois et tous les grands de la Cour.
Comme nous étions dans une halte en attendant la Reine, nous vîmes venir à nous un carrosse en diligence qui s’arrêta à trois cents pas, d’om sortit M. le marquis de Berny. Le Roi ne le reconnaissant pas et demandant qui c’était, je le lui dis. Il alla à lui tout seul au galop. Je m’entretenais pour lors avec l’ambassadeur d’Angleterre. Je lui dis à l’oreille : « Voilà des nouvelles de l’élection d’un roi en Pologne ». Monsieur m’ayant demandé ce que je disais, je lui en fis la répétition. Sa Majesté revint à nous avec un visage assez froid et qui marquait peu de satisfaction, et nous dit que les Polonais avaient élu un de leur pays pour roi, nommé Wisniowiecki et qu’ils l’avaient [p. 323] déjà couronnés. Chacun en raisonne à sa fantaisie avec assez de liberté. On m’en demanda mon sentiment ; je dis que j’aurais fort souhaité que les Polonais eussent choisi monsieur le Prince et que Sa Majesté l’eût nommé en tête de ses troupes ; que ces peuples là, quoiqu’ils eussent agi en cette rencontre contre leurs constitutions, que néanmoins ils avaient considéré de ne désobliger pas les prétendants étrangers et leurs partisans et qu’en cela ils avaient témoigné d’avoir de l’esprit aussi bien qu’à retarder l’élection, puisqu’ils avaient eu le temps de recevoir tout l’argent qu’on leur avait porté de tant d’endroits. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, concernant une comédie donnée à Saint-Germain-en-Laye

« Paris, le 30 août 1669
J’ai commencé cette lettre ce matin à Saint Germain, où j’allai coucher hier au soir pour y voir la comédie. Le Roi m’a donné audience après son dîner. Je lui ai expliqué les ordres que Votre Altesse royale m’a donnés sur la mort de messieurs de Vendôme et en faveur de leurs successeurs, [p. 334] puis je lui ai présenté M. d’Arvey, qui lui a fait son compliment et offert les lettres de Vos Altesses royales parce que M. de Laon a jugé qu’il ferait mieux. […]
Monsieur le Dauphin a encore eu quelques attaques de fièvre, que l’on dit considérables, mais on le cache à cause de la Reine. Néanmoins, j’ai envoyé ce matin mon fils aîné à M. de Montausier pour en savoir des nouvelles ; il l’a introduit [p. 335] dans sa chambre, il a voulu qu’il lui ait fait son compliment, il l’a trouvé assis dans son lit qu’il se jouait et il lui a répondu qu’il m’était bien obligé du soin que je prenais de sa personne et qu’il était mon serviteur.
La petite Madame a été malade. Elle se porte mieux, on l’a ainsi dit à un gentilhomme que j’ai envoyé chez elle pour savoir l’état de sa santé.
J’ai été honoré par le dernier ordinaire de la lettre de la main de Votre Altesse royale du dix sept de ce mois. J’ai témoigné à M. de Péguilin combien elle et Madame Royale preniez de part à son avancement ; il m’a témoigné qu’il en avait grande reconnaissance et m’a assuré qu’elles n’avaient pas ici de plus fidèle serviteur que lui.
Dimanche qu’il y eut à Saint Germain comédie, je le fis prier d’y faire avoir place à messieurs d’Arvey et chevalier d’Aglié. On lui parla un peu tard ; il leur fit donner néanmoins un exempt des gardes pour les faire placer, mais le grand monde et la confusion fut cause qu’ils ne purent pas l’être et ils furent un peu poussés, ce qui les obligea à sortir de la salle et ils ne virent rien. Mon fils ainé fut poussé assez rudement par un lieutenant [p. 336] des gardes qui le voulait faire reculer, mais le marquis de Rochefort, qui le vit et qui est capitaine des gardes du corps, lava bien la tête à cet officier, prit mon fils par la main et le fit asseoir sur un banc le plus approché du Roi et à côté du comte de Sault. Le Roi, ayant su tout ce désordre, s’en est fâché fortement ; le sieur de Bonneuil m’en a parlé de sa part et, pour lui témoigner la reconnaissance que j’en ai, je fus hier à cette comédie ; je fus reçu par ledit sieur de Bonneuil et le chevalier de Forbin, major des gardes ; on me rendit plus d’honneurs qu’à l’ordinaire et à tous mes gentilshommes, qui furent placés dans les premières places. Le chevalier d’Aglié n’y vint pas avec moi ; le Roi veut qu’il y aille ; ce sera demain avec ma fille, car la Reine, sachant qu’elle n’y fut pas bien dimanche, elle veut qu’elle y retourne et prendre elle même le soin de la placer.
J’ai cru devoir faire ce petit détail à Votre [p. 337] Altesse royale sur ce qu’Elle pourrait savoir cette affaire différemment. La comédie est galante, il y a de belles entrées de ballet et bonne musique et concert. M. le prince de Toscane y a assisté toutes les trois fois que l’on l’a jouée ; il n’était pas avantageusement placé car il était sur un banc que, bien qu’il fût proche du Roi, il y avait auprès de lui des gentilshommes qui ne font pas ici la première figure.
Après l’audience que j’ai eue aujourd’hui du Roi, je l’ai voulu remercier du magnifique présent qu’il a fait à ma fille ; il ne m’a pas voulu écouter. Néanmoins je lui ai témoigné mes reconnaissances et que j’avais rendu compte à Votre Altesse royale des générosités qu’il faisait à ceux qui sont à Elle. Toute la Cour a témoigné grande joie de ce bienfait qu’il a fait à l’Angélique et font connaître d’être satisfaite de mes civilités et de celles de ma famille. j’ai fait passer ce poinçon pour valoir mille louis, quoiqu’il ne vaille que deux mille écus au plus. On m’a assuré que le Roi avait commandé à M. de Colbert de l’acheter mille et cinq [p. 338] cents pistoles. Quand M. de Bonneuil lui a dit que j’avais fait mon possible pour le lui faire reprendre, il en a été étonné et lui a dit que Votre Altesse royale faisait de si beaux présents à son ambassadeur et à tous ceux qu’il envoyait à sa Cour.
J’ai fait que ma fille a envoyé un étui de vermeil à la fille de madame de Bonneuil, de trois cens écus. Ils firent quelque difficulté de l’accepter, mais mon écuyer le laissa sur leur table. Ils m’en ont remercié et l’ont dit à la Cour. J’ai prôné partout les générosités du Roi, mais je ne laisse pas d’être en peinte que Votre Altesse royale ne trouve mauvais que j’en aie reçu des effets. Je voudrais avoir perdu trois fois autant que vaut le poinçon et que le Toi n’eût pas songé à me l’envoyer. »

Récit par le maître des cérémonies Nicolas Sainctot de l’audience donnée par le roi à Soliman Aga, ambassadeur du sultan, au Château-Neuf

« [f. 124] Le 5e [décembre], le sieur de Berlise, introducteur des ambassadeurs, estant venu prendre Soliman dans les carosses du Roy et de la Reine, ils entrerent dans celuy du Roy avec les sieurs de la Giberti, l’interprete et l’aumonier. Ils dinerent à Chatou, où l’on amena les chevaux de la grande ecuirie qu’ils enharnacherent à leur mode [f. 124v] et qu’ils renvoyerent au Pec. Ils decendirent de carrosse et monterent sur les chevaux qui les attendoient, se mettant en marche deux à deux, ayant le sieur Giraud à leur teste.
Soliman marchoit entre le sieur de Breslise et le sieur de la Giberti, ayant son interprete devant luy. Une des circonstances qui est plus à remarquer est que les Turcs estoient sans armes et que Soliman n’avoit pas meme de sabre. Ils entrerent en cet ordre dans la cour du chateau neuf, où ils trouverent des bataillons formez par les compagnies des regimens des gardes françoises et suisses et des escadrons formez par les mousquetaires. Les chevaux legers, les gendarmes, les gardes du corps, les gardes de la porte, les archers du grand prevost, les Cent Suisses estoient en haye depuis la porte de la petite cour jusqu’au haut du perron. Soliman mit pied à terre dez l’entrée de la petite cour, n’estant pas suffisante pour contenir le nombre de chevaux qui l’accompagnoient, et marcha à pied dans le mesme ordre qu’il estoit venu, passant au travers de la garde ordinaire des gardes du corps qui se trouverent sur le perron dans la salle des gardes. De là, il passa dans plusieurs chambres superbement tendues et se rendit ainsy dans la grande galerie [f. 125] où le Roy l’attendoit.
Cette galerie estoit parée de plusieurs belles tapisseries de la Couronne. Tout le parterre etoit couvert de tapis de pied et les deux costez de la galerie estoient remplis de grands vases d’argent elevez sur des pies destaux aussy d’argent. Au bout de la galerie estoit un trone elevé sur huit marches orné de pareils vases et de caisses d’argent dont le prix estoit de plus de vingt millions. Monsieur, M. le Prince et M. le duc d’Enguien estoient à ses costez, vestus de tres superbes habits, et tous les seigneurs de la cour, qui estoient en si grand nombre qu’ils formoient un triple rang le long de la galerie, estoient aussy tres magnifiquement habillez.
Lorsque Soliman entra dans la galerie, le bruit qui s’y faisoit auparavant cessa d’une manière si surprenante, au seul signal que Sa Majesté fit, qu’il a declaré depuis avoir esté surpris du profond respect que les courtisans rendent au Roy.
Quelque temps quant Soliman entrast dans cette galerie, il tira la lettre du Grand Seigneur d’une toilette qui estoit renfermée dans un sac de brocard de la longueur d’un pied et la tint dans ses mains, elevée de la hauteur de sa barbe, marchant toujours entre les sieurs de Berlise et de la Giberti jusques au pied du trosne, faisant avec tous ses gens le mesme nombre de reverences que le sieur Giraud qui estoit à leur teste.
Soliman, estant arrivé au pied des degrez du trone, fit une profonde reverence et commença son compliment, qui fut expliqué par son interprete en ces termes : Sire, Soliman Aga dit à Vostre tres haute et tres puissante Majesté imperiale que le tres haut et tres puissant empereur ottoman sultan Mahomet Han, quatrieme du nom, son maitre, l’envoye à Vostre tres haute et tres puissante Majesté imperiale luy porter cette lettre et luy dire que les deux empires ont toujours esté en tres bonne intelligence, qu’il en souhaite la continuation et que, pour cet effet, il a retenu M. de la Haye Ventelet, ambassadeur de Vostre Majesté imperiale à la Porte et souhaite à vostre tres haute et tres puissante Majesté imperiale toute sorte de bonheur, de felicité et de prolongation de vos jours. A quoy le Roy repondit qu’il avoit toujours eu bien de la joye [f. 126] de voir l’intelligence qui estoit entre les deux empires, que de son coté il contribueroit toujours à l’entretenir et qu’il pouvoit remettre sa lettre entre les mains de M. de Lionne. L’interprete ayant fait attendre à Soliman la reponse du Roy, Soliman dit à Sa Majesté que le Grand Seigneur, son maitre, luy ayant commandé de remettre sa lettre entre les mains propres de Sa Majesté, il la supplioit de luy faire cet honneur. Sa Majesté luy ayant accordé volontiers cette grace, il monta les degrez du trone, tenant toujours sa lettre elevée. Estant au dernier degré, et voyant Sa Majesté ne se lever pas pour recevoir la lettre, il dit que, lorsque le Grand Seigneur, son maitre, la luy avoit donné, il s’estoit levé en signe d’estime et d’amitié pour Sa Majesté, qu’il la supplioit de vouloir la recevoir de la mesme manière qu’il la luy avoit donnée. Le sieur de Lyonne, ayant appris par l’interprete le dessein de Soliman, lui demanda qui pouvoit estre garand de ce qu’il advançoit, ce qui neantmoins ne lui fut point interpreté, le Roy dans le moment s’estant tourné vers le sieur de Guitry, grand maitre de la garde robe, qui s’estoit autrefois trouvé à la Porte à l’audiance de M. de la Haye, luy [f. 126v] demanda si le Grand Seigneur s’estoit levé lorsque son ambassadeur luy avoir rendu sa lettre. Le sieur de Guitry luy ayant repondu que non, dit tout haut que, puisque le Grand Seigneur en recevant ses lettres par les mains de ses ambassadeurs ne se levoit pas, il ne se leveroit pas, aussy qu’il n’avoit qu’à donner sa lettre. La volonté du Roy estant connue à Soliman, il baisa le sac où estoit la lettre et, après l’avoir fait toucher à son front en faisant une profonde reverence, il la presenta au Roy qui la prit et la donna à M. de Lionne, qui appella les interpretes, le sieur Delacroix et le chevalier Dervius.
Dans le temps que les interpretes lisoient la subscription qui estoit sur un parchement et qui fermoit l’entrée du sac et qu’ils expliquoient au Roy les qualitez que le Grand Seigneur lui donnoit, Soliman descendit au bas du trone apres avoir fait une reverence, où estant, et branlant la teste, il dit tout haut que le Grand Seigneur ne seroit pas satisfait de la manière que le Roy recevoit sa lettre. Sa Majesté s’estant apperceu de ce mouvement de colere, demanda ce qu’il avoit dit, et luy ayant esté expliqué, aussitost dist tout haut et d’un ton serieux qu’il verroit la lettre et qu’il feroit reponse. Soliman, ayant sceu par son interprete ce que le Roy [f. 127] venoit de dire, il se retira en faisant trois reverences, apres lesquelles, ayant voulu tourner le dos à Sa Majesté, le sieur de la Giberti, qui estoit à sa droite, luy fit aussitost tourner le visage jusques à ce que le vuide qui estoit entre le Roy et Soliman fut remply et qu’il ne fut point en estat d’estre apperceu de Sa Majesté. Soliman se retira dans le mesme ordre qu’il estoit venu et remonta à cheval avec toute sa suite hors les portes du chateau neuf. »

Mentions de Saint-Germain-en-Laye dans les mémoires de Saint-Simon

« [t. 2, p. 37] [1697] La premiere nouvelle qu’on eut de sa signature fut par un aide de camp du marechal de Boufflers qui arriva le dimanche 22 septembre à Fontainebleau, depeché par le marechal, sur ce que l’electeur de Baviere lui avoit mandé que la paix avoit eté signée à Ryswick le vendredi precedent à minuit. […] Le roi et la reine d’Angleterre etoient à Fontainebleau, à qui la reconnoissance du prince d’Orange fut bien amere, [p. 38] mais ils en connoissoient bien la necessité pour avoir la paix, et savoient bien aussi que cet article ne l’etoit guere moins au Roi qu’à eux-mêmes, dont j’expliquerai tout presentement la raison. Ils se consolerent comme ils purent, et parurent meme fort obligés au Roi, qui tint egalement ferme à ne vouloir pas souffrir qu’ils sortissent de France, ni qu’ils quittassent le sejour de Saint Germain. Ces deux points avoient eté vivement demandés, le dernier surtout dans l’impossibilité d’obtenir l’autre, tant à Ryswick que dans les conferences par Portland. Le Roi eut l’attention de dire à Torcy, sur le point de la signature, que si le courrier qui en apporteroit la nouvelle arrivoit, un ou plusieurs, l’un apres l’autre, il ne lui vint point dire s’il etoit alors avec le roi et la reine d’Angleterre, et il defendit aux musiciens de chantier rien qui eut rapport à la paix jusqu’au depart de la cour d’Angleterre.
[…]
[p. 93] [1698] Le roi d’Angleterre etoit au comble de satisfaction de se voir enfin reconnu par le Roi, et paisible sur ce trone ; mais un usurpateur n’est jamais tranquille et content. Il etoit blessé du sejour du roi legitime et de sa famille à Saint Germain. C’etoit trop à portée du Roi et trop pres d’Angleterre [p. 94] pour le laisser sans inquietude. Il avoit fait tous ses efforts, tant à Ryswick que dans les conferences de Portland et du marechal de Boufflers, pour obtenir leur sortie du royaume, tout au moins leur eloignement de la Cour. Il avoit trouvé le Roi inflexible ; il voulut essayer tout, et voir si, n’en faisant plus une condition, puisqu’il avoit passé carriere, et comblant le Roi de prevenances et de respects, il ne pourroit pas obtenir ce fruit par ces souplesses. Dans cette vue, il envoya le duc de Saint Albans, chevalier de la Jarretiere, complimenter le Roi sur le mariage de monseigneur le duc de Bourgogne. Il ne pouvoit choisir un homme plus marqué pour une simple commission ; on fut surpris meme qu’il l’eut acceptée. Il etoit batard de Charles II, frere ainé du roi Jacques II, et c’etoit bien encore là une raison pour Saint Albans de s’en excuser. Il voulut meme pretendre quelques distinctions, mais on tint poliment ferme à ne le traiter que comme un simple envoyé d’Angleterre. Les ducs de ce pays là n’ont aucun rang ici, non plus que ceux d’ici en Angleterre. Le Roi avoit fait la duchesse de Portsmouth et le duc de Richemont, son fils, duc et duchesse à brevet, et accordé un tabouret de grace en passant à la duchesse de Cleveland, maitresse de Charles II, son ami. […]
[p. 95] Des la premiere fois qu’il vit Torcy avant d’aller à Versailles, il lui parla du renvoi, à tout le moins de l’eloignement du roi Jacques et de sa famille. Torcy sagement n’en fit point à deux fois, et lui barra tout de suite la veine. Il lui repondit que ce point, tant de fois proposé dans ses conferences avec le marechal de Boufflers, et sous tant de diverses [p. 96] formes debattu à Ryswick, avoit eté constamment et nettement rejeté partout, que c’etoit une chose reglée et entierement finie, qu’il savoit que le Roi, non seulement ne se laisseroit jamais entamer là-dessus le moins du monde, mais qu’il seroit extremement blessé d’en ouir parler davantage, qu’il pouvoit l’assurer de la disposition du Roi à correspondre en tout, avec toutes sortes de soins, à la liaison qui se formoit entre lui et le roi d’Angleterre, et personnellement à le traiter lui avec toutes sortes de distinctions ; qu’un mot dit par lui sur Saint Germain seroit capable de gater de si utiles dispositions, et de rendre son ambassade triste et languissante ; et que, s’il etoit capable de lui donner un conseil, c’etoit celui de ne rien gater, et de ne pas dire un seul mot au Roi, ni davantage à aucun de ses ministres, sur un point convenu, et sur lequel le Roi avoit pris son parti. Portland le crut, et s’en trouva bien ; mais on verra bientôt que ce ne fut pas sans depit, et le Roi approuva extremement que Torcy lui eut des l’abord fermé la bouche sur cet article. On prit un grand soin de faire en sorte qu’aucun Anglois de Saint Germain ne se trouvat à Versailles ni à Paris, à aucune portée de ceux de l’ambassadeur, et cela fut tres exactement executé. […] [p. 98] Mais parmi tant de fleurs, il ne laissa pas d’essuyer quelques epines, et de sentir la presence du legitime roi d’Angleterre en France. Il etoit allé une autre fois à Meudon pour suivre Monseigneur à la chasse. On alloit partir et Portland se bottoit, lorsque Monseigneur fut averti que le roi d’Angleterre se trouveroit au rendez vous. A l’instant il le manda à Portland, et qu’il le prioit de remettre à une autre fois. Il fallut se debotter et revenir tout de suite à Paris. […] [p. 98] Il etoit grand chasseur. Soit envie de voir faire la meute du Roi, soit surprise de ne recevoir aucune civilité du duc de La Rochefoucauld que la simple reverence lorsqu’ils se rencontroient, il dit et repeta souvent qu’il mouroit d’envie de chasser avec les chiens du Roi. Il le dit tant et devant tant de gens qu’il jugea impossible que cela ne fut revenu à M. de La Rochefoucauld, et cependant sans aucune suite. Lassé de cette obscurité, il la voulut percer, et au sortir d’un lever du Roi aborda franchement le grand veneur, et lui dit son desir. L’autre ne s’en embarrassa point. Il lui repondit assez sechement qu’à la verité il avoit l’honneur d’etre grand veneur, mais qu’il ne disposoit point des chasses, que c’etoit le roi d’Angleterre dont il prenoit les ordre, qu’il y venoit tres souvent mais qu’il ne savoit jamais qu’au moment de partir quand il ne venoit pas au rendez vous, et tout de suite la reverence, et laissa là Portland dans un grand depit, et toutefois sans se pouvoir plaindre. M. de La Rochefoucauld fut le seul grand seigneur distingué de la Cour qui n’approcha jamais Portland. Ce qu’il lui repondit etoit pure generosité pour le roi d’Angleterre. Ce prince, à la verité, disposoit quand il vouloit de la meute du Roi, mais il y avoit bien des temps qu’il ne chassoit point, et jamais à toutes les chasses. Il ne tenoit donc qu’à M. de La Rochefoucauld d’en donner à Portland tant qu’il auroit voulu, à [p. 99] coup sur, mais piqué de la prostitution publique à la vue de la Cour de Saint Germain, il ne put se refuser cette mortification au triomphant ambassadeur de l’usurpateur qui avoit attaché à son char jusqu’à M. de Lauzun, malgré ses engagements et son attachement au roi et à la reine d’Angleterre, et sans y pouvoir gagner que de la honte, pour suivre la mode et faire sa cour au Roi.
Enfin, Portland, comblé en toutes les manieres possibles, se resolut au depart. […] Sur son depart de Paris, il avoit affecté de repandre que tant que le roi Jacques seroit à Saint Germain, la reine d’Angleterre ne seroit point payée du douaire qui lui avoit eté accordé à la paix, et il tint parole.
[…]
[p. 416] [1700] L’archevêque de Reims présida l’assemblée du clergé qui se tient de cinq ans en cinq ans. […] [p. 417] Cette assemblée se tint à Saint Germain quoique le roi d’Angleterre occupat le château. M. de Reims y tenoit une grande table et avoit du vin de Champagne qu’on vanta fort. Le roi d’Angleterre, qui n’en buvoit guere d’autre, en entendit parler et en envoya demander à l’archeveque, qui lui envoya six bouteilles. Quelque temps apres, le roi d’Angleterre, qui l’en avoit remercié, et qui avoit trouvé ce vin fort bon, l’envoya prier de lui en envoyer encore. L’archeveque, plus avare encore de son vin que de son argent, lui manda tout net que son vin n’etoit point fou et ne couroit point les rues, et ne lui en envoya point. Quelque accoutumé qu’on fut aux brusqueries de l’archeveque, celle ci parut si etrange qu’il en fut beaucoup parlé, mais il n’en fut autre chose.
[…]
[t. 3, p. 37] [1700] Aussitôt après la déclaration [de l’acceptation du testament du roi d’Espagne], le Roi la manda par le premier ecuyer au roi et à la reine d’Espagne. […] Depuis cette declaration, le roi d’Espagne fut traité comme le roi d’Angleterre. Il avoit à souper un fauteuil et son cadenas à la droite du roi, Monseigneur et le reste de la famille royale des ployants au bout, et au retour de la table à l’ordinaire, pour boire, une soucoupe et un verre couvert, et l’essai comme pour le Roi. Ils ne se voyoient en public qu’à la chapelle, et pour y aller et en revenir, et à souper, au sortir duquel le Roi le conduisoit jusqu’à la porte de la galerie. Il vit le roi et la reine d’Angleterre à Versailles et à Saint Germain, et ils se traiterent comme le roi et le roi d’Angleterre en tout, mais les trois rois ne se trouverent jamais nulle part tous trois ensemble.
[…]
[p. 328] [1701] Le voyage du roi d’Angleterre lui avoit peu reussi, et il ne traina depuis qu’une vie languissante. Depusi la mi aout, elle s’affoiblit de plus en plus, et, vers le 8 septembre, il tomba dans un etat de paralysie et d’autres maux à n’en laisser rien esperer. Le Roi, madame de Maintenon, toutes les personnes royales le visiterent souvent. Il reçut les derniers sacrements avec une pieté qui repondit à l’edification de sa vie, et on n’attendoit plus que sa mort à tous les instants. Dans cette conjoncture, le Roi prit une resolution plus digne de la generosité de Louis XII et de François Ier que de sa sagesse. Il alla de Marly, où il etoit, à Saint Germain, le mardi 13 septembre. Le roi d’Angleterre etoit si mal que, lorsqu’on lui annonça le Roi, à peine ouvrit il les yeux un moment. Le Roi lui dit qu’il etoit venu l’assurer qu’il [p. 329] pouvoit mourir en repos sur le prince de Galles, et qu’il le reconnoitroit roi d’Angleterre, d’Ecosse et d’Irlande. Le peu d’Anglois qui se trouverent presents se jeterent à ses genoux, mais le roi d’Angleterre ne donna pas signe de vie. Aussitôt après, le Roi passez chez la reine d’Angleterre, à qui il donna la meme assurance. Ils envoyerent chercher le prince de Galles, à qui ils le dirent. On peut juger de la reconnoissance et des expressions de la mere et du fils. Revenu à Marly, le Roi declara à toute la Cour ce qu’il venoit de faire. Ce ne fut qu’applaudissement et que louanges. […]
[p. 330] Le roi d’Angleterre, dans le peu d’intervalles qu’il eut, parut fort sensible à ce que le Roi venoit de faire. Il lui avoit fait promettre de ne pas souffrir qu’il lui fut fait la moindre ceremonie apres sa mort, qui arriva sur les trois heures apres midi du 16 septembre de cette année 1701.
M. le prince de Conti s’etoit tenu tous ces derniers jours à Saint Germain sans en partie, parce que la reine d’Angleterre et lui etoient enfants des deux sœurs Martinozzi, desquelles la mere etoit sœur du cardinal Mazarin. Le nonce du pape s’y etoit pareillement tenu, par l’ordre anticipé duquel il reconnut et salua le prince de Galles comme roi d’Angleterre. Le soir du meme jour, la reine d’Angleterre s’en alla aux Filles de Sainte Marie de Chaillot, qu’elle aimait fort, et lendemain samedi, sur les sept heures du soir, le corps du roi d’Angleterre, fort legerement accompagné, et suivi de quelques carrosses remplis des principaux Anglois de Saint Germain, fut conduit aux Benedictins anglois à Paris, rue Saint Jacques, où il fut mis en depot dans une chapelle comme le plus simple particulier, jusqu’aux temps, apparemment du moins, fort éloignés qu’il puisse etre transporté [p. 331] en Angleterre ; et son cœur aux Filles de Sainte Marie de Chaillot.
Ce prince a eté si connu dans le monde duc d’York et roi d’Angleterre, que je me dispenserai d’en parler ici. Il s’etoit fort distingué par sa valeur et par sa bonté, beaucoup plus par la magnanimité constante avec laquelle il a supporté tous ses malheurs, enfin par une sainteté eminente.
Le mardi 20 septembre, le Roi alla à Saint Germain, et fut reçu et conduit par le nouveau roi d’Angleterre comme il l’avoit eté par le roi son pere la premiere fois qu’ils se virent ; il demeura peu chez lui, et passez chez la reine d’Angleterre. Le roi son fils etoit en grand manteau violet ; pour elle, elle n’etoit point en mante, et ne voulut point de ceremonie. toute la maison royale et toutes les princesses du sang vinrent en robe de chambre faire leur visite pendant que le Roi y etoit, qui y resta le dernier, et qui demeura toujours debout. Le lendemain mercredi, le roi d’Angleterre, en grand manteau violet, vint voir le roi à Versailles, qui le reçut et le conduisit comme il avoit fait la premiere fois le roi son pere au haut du degré, comme lui meme en avoit eté reçu et conduit.
[…]
[t. 4, p. 116] [1703] La reine d’Angleterre, fort incommodée d’une glande au sein, dont elle guerit à la longue par un regime tres severe, [p. 117] eut une nouvelle affliction : elle perdit la comtesse Dalmont, Italienne et Montecuculli, qu’elle avoit amenée et mariée en Angleterre, qui ne l’avoit jamais quittée, et pour qui elle avoit eu la plus grande amitié et la plus grande confiance toute sa vie. C’etoit une grande femme, tres bien faite et de beaucoup d’esprit, dont notre cour s’accommodoit extremement. La reine d’aimoit tant, qu’elle lui avoit fait donner un tabouret de grace, comme je crois l’avoir dejà remarqué ailleurs.
[…]
[t. 5, p. 397] [1707] [Le duc d’Orléans] n’ignoroit pas que le premier Fils de France qui ait eu un fauteuil devant une tete couronnée a eté Gaston, qui, etant lieutenant general de l’Etat dans la minorité de Louis XIV, profita de l’indigence, des malheurs et des besoins de la reine d’Angleterre sa sœur pour ses enfants et pour elle meme, refugiés en France apres l’etrange catastrophe du roi Charles Ier, son mari, dont l’exemple et une raison semblable valut le fateuil à Monsieur et à Madame, pere et mere de M. le duc d’Orleans, [de la part] du roi Jacques II et de la reine sa femme, refugiés pareillement en France en 1688 par l’invasion et l’usurpation du prince d’Orange, depuis dit le roi Guillaume III. Mais il savoit aussi que lui meme ne l’avoit pu obtenir. On lui avoit seulement souffert, à madame la duchesse d’Orleans, à Mademoiselle, sa sœur, depuis duchesse de Lorraine, et aux trois filles de Gaston, de ne voir le roi et la reine d’Angleterre qu’avec Monseigneur, Monsieur ou Madame, devant qui ils ne pretendoient qu’un tabouret ; et comme tout s’etend en France sans autre droit que de l’oser, les deux autres filles du Roi, toujours blessées du rang si superieur au leur de leur sœur cadette, se mirent sur le meme pied de ne voir la cour d’Angleterre qu’avec des Fils ou des Filles de France ; puis d’elles, qui etoient princesses du sang par leurs maris, les autres princesses du sang en ont toujours usé de meme. Le Roi le souffroit, et le roi et la reine d’Angleterre n’etoient pas en situation de s’en plaindre.
[…]
[t. 6, p. 191] [1708] On eut grand soin qu’il ne parut aucun mouvement à Saint Germain. On couvrit le peu d’equipages qu’on tint prets au roi d’Angleterre d’un voyage à Anet pour des parties de chasse. Il ne devoit etre suivi, comme en effet il le fut, que du duc de Perth qui avoit eté son gouverneur, de Scheldon qui avoit été son sous gouverneur, des deux Hamilton, de Middleton, et de fort peu d’autres.
Perth etoit Ecossois ; il avoit eté longtemps chancelier d’Ecosse, qui est la premiere dignité et la plus autorisée du pays, et qui est aussi militaire, toujours remplie par les premiers seigneurs. Ses gendres, ses neveux, ses plus proches y occupoient encore les premiers emplois, y avoient le principal credit, et etoient tous dans le secret et les plus ardents promoteurs de l’entreprise. Le sous gouverneur etoit un des plus beaux, des meilleurs et des plus etendus esprits de toute l’Angleterre, brave, pieux, sage, savant, excellent officier, et d’une fidelité à toute epreuve. Les Hamilton etoient freres de la comtesse de Grammont, des premiers seigneurs d’Ecosse, braves et pleins d’esprit, fideles. Ceux là, par leur sœur, etoient fort melés à la meilleure compagnie de notre Cour ; ils etoient pauvres et avoient leur bon coin de singularité. Middleton etoit le seul secretaire d’Etat, parce qu’il avoit coulé à fond le duc de Melford, frere du duc de Perth, qui etoit l’autre, qui n’en avoit plus que le nom depuis les exils où fort injustement, à ce que les Anglois de Saint Germain pretendoient, Middleton l’avoit fait chasse. Il n’habitoit meme plus Saint Germain. La femme de Middleton etoit gouvernante de la princesse d’Angleterre, et avoit toute la confiance de la reine. C’etoit une grande femme, bien faite, maigre, à mine devote [p. 192] et austere. Elle et son mari avoient de l’esprit et de l’intrigue comme deux demons ; et Middleton, par etre de fort bonne compagnie, voyoit familierement la meilleure de Versailles. Sa femme etoit catholique, lui protestant, tous deux de fort peu de chose, et les seuls de tout ce qui etoit à Saint Germain qui touchassent tous leurs revenus d’Angleterre. Le feu roi Jacques, en mourant, l’avoit fort exhorté à se faire catholique. C’etoit un athée de profession et d’effet, s’il peut y en avoir, au moins un franc deiste ; il s’en cachoit meme fort peu. Quelques mois apres la mort de Jacques, il fut un matin trouver la reine, et comme eperdu lui declara avec grande effusion de cœur qu’il devoit son salut à ses prieres, et protesta qu’il etoit catholique. La reine fut assez credule pour s’abandonner au transport de sa joie, Middleton fit une retraite qu’il termina par une abjuration, se mit dans la grande devotion, et à frequenter les sacrements. La confiance de la reine en luit n’eut plus de bornes ; il gouverna tout à Saint Germain. La Jarretiere lui fut offerte qu’il refusa par modestie, mais pour tout cela ses revenus d’Angleterre ne lui etoient pas moins fidelement remis. Plus d’une fois le projet d’Ecosse, proposé d’abord à Saint Germain, avoit eté rejeté par lui, et meprisé par la reine qu’il gouvernoit. Quand il se vit pleinement ancré, il quitta peu à peu la devotion, et peu à peu reprit son premier genre d vie sans que son credit en reçut de diminution. Cette fois, comme les precedentes, il fut de tout le secret ; mais comme notre Cour y entroit avec efficace, il n’osa le contredire, mais il s’y rendit mollement. Tel fut le seul et veritable mentor que la reine donna au roi son fils pour l’expedition d’Ecosse.
[…]
[p. 218] On etoit lors dans la plus grande inquietude de l’entreprise [p. 219] d’Ecosse, et le roi d’Angleterre arriva à Saint Germain le meme soir que Chamillart revint à Marly de Flandres [20 avril].
[…]
[p. 233] [30 avril] Le roi déclara les généraux de ses armées. […] Le roi déclara en meme temps que M. le duc de Berry, mais comme volontaire seulement, accompagneroit monseigneur son frere, et les trois seuls hommes de leur suite que j’ai dits. Il declara aussi que le roi d’Angleterre feroit la campagne en Flandre, mais dans un entier incognito, sous le nom de chevalier de Saint Georges.
[…]
[p. 435] Vienne, piquée d’avoir succombé, en voulut tirer une réparation tout à fait en la disposition du pape, et lui demanda un chapeau pour le prince de Lorraine. Le pape, qui en etoit avare, et qui craignoit d’accoutumer l’empereur à prescrire, differa tant qu’il put, et l’habile abbé de Polignac saisit la conjoncture pour se faire un asile peu honorable, et d’une planche, apres tant de naufrages, une route pour arriver à la pourpre. […] [p. 436] Le pape desiroit fort, sur l’exemple de La Tremoille, faire passer Polignac aux deux couronnes ensemble, pour compensation du prince de Lorraine. Mais la dexterité de l’abbé, ni le credit de ses amis, ne purent faire gouter cet expedient au Roi ; et l’empereur, enflé des prosperités de sa si grande alliance, declara nettement que, si le pape faisoit un sujet pour les deux couronnes avec le prince de Lorraine, il pretendoit avoir en meme temps un autre chapeau au nom de l’archiduc, comme roi d’Espagne. Cette pretention etoit absurde. L’archiduc n’etoit point roi d’Espagne, à Rome moins que partout ailleurs, où Philippe V etoit seul reconnu, avoit un legat à Naples, tenoit actuellement un ambassadeur à Rome, qui etoit le duc d’Uzeda, et avoit un nonce à Madrid. L’empereur d’ailleurs ne pouvoit contester au Roi un droit egal au sien, et il n’avoit pas le moindre pretexte de plainte que l’abbé de Polignac passat pour la France avec le prince de Lorraine pour lui, c’etoit le roi d’Espagne seul qui en auroit eté laissé. A cette difficulté, il s’en joignit une autre dans notre Cour. Madame de Lorraine, qui, pour etre depuis longtemps mourante et alors fort pres de sa fin, n’en etoit pas moins attentive à l’elevation des siens et à l’etablissement de ses enfants, fut bientôt informée de ce qui se passoit la dessus. Elle sentit combien une promotion de traverse eloigneroit celle des couronnes. Elle ecrivit donc au Roi, et lui demanda d’insister à ce que le prince de Lorraine passat comme couronne pour l’empereur. Le Roi n’eut garde de lui refuser cette complaisance, mais elle ne fit qu’augmenter la difficulté. […] [p. 437] Mais cependant l’abbé de Polignac prit un autre four. Il avoit toujours menagé la Cour de Saint Germain, en France et à Rome ; il se tourna vers elle pour avoir sa nomination. Cette marque de royauté etoit comme la seule qui restat au malheureux roi d’Angleterre, et Rome n’en pouvoit pas faire de difficulté à un prince qui perdoit tout pour la religion, qui n’avoit d’asile que Rome, et qui y etoit traité en roi. Avec toutes ces raisons, ce prince crut en avoir de bonnes raisons d’introduire l’exercice de ce droit par un sujet agreable au pape et protegé par la France. Torcy, qui, dans l’affaire de la nomination de Pologne, n’avoit pas voulu decider entre ses deux amis, et avoit remis le choix au Roi, sans porter l’un plus que l’autre, fut ravi d’une occasion de revenir sur l’abbé de Polignac, et le servit de toutes ses forces. Il obtint donc en ce temps ci la nomination du roi d’Angleterre pour la promotion des couronnes, et le pape, qui ne demandoit qu’un pretexte de le faire cardinal, l’agrea avec plaisir.
[…]
[t. 7, p. 16] Ce lendemain mardi 11 [décembre], le roi d’Angleterre arriva à Saint Germain, et vint voir le Roi le mercredi avec la reine sa mere.
[…]
[p. 18] Ce pauvre prince vivoit son incognito avec le meme respect avec les deux princes que s’il n’eut eté qu’un mediocre particulier. Eux aussi en abusoient avec la derniere indecence, sans la moindre des attentions que ce qu’il etoit exigé d’eux, à travers tous les voiles, jusqu’à le laisser tres ordinairement attendre parmi la foule dans les antichambres, et ne lui parloient presque point. Le scandale en fut d’autant plus grand qu’il dura toute la campagne, et que le chevalier de Saint Georges s’y etoit concilié l’estime et l’affection de toute l’armée par ses manieres et par toute sa conduite. Vers les derniers temps de la campagne, Gamaches, poussé à bout d’un procedé si constant, s’adressant aux deux princes devant tout le monde : « Est ce une gageure ? leur demanda t il tout à coup ; parlez franchement ; si c’en est une, vous l’avez gagnée, il n’y a rien à dire ; mais au moins, après cela, parlez un peu à M. le chevalier de Saint Georges, et le traitez un peu plus honnetement. » Toutes ces saillies eussent eté bonnes tete à tete, et fort à propos, mais en public, ce zele et ces verités [p. 19] n’en pouvoient couvrir l’indiscretion. On etoit accoutumé aux siennes, elles ne furent pas mal prises, mais elles ne servirent de rien.
[…]
[t. 9, p. 178] [1711] Le lendemain, mardi 21 avril, M. [le Dauphin] et madame la Dauphine, M. [le duc] et madame la duchesse de Berry, Madame, M. [le duc] et madame la duchesse d’Orleans allerent, l’apres dinée, en meme carrosse, à Saint Germain, tous en mante et en grand manteau. Ils allerent droit chez le roi d’Angleterre, où ils ne s’assirent point, ensuite chez la reine, où ils s’assirent dans six fauteuils, M. [le duc] et madame la duchesse d’Orleans et M. du Maine sur un ployant [p 179] chacun. Il etoit allé les y attendre pour jouir de cet honneur, et s’y egaler à un Petit Fils de France. La reine fit des excuses de n’etre pas en mante pour les recevoir, c’est à dire en petit voile, parce que, au moins en France, les veuves ne portent de mante en nulle occasion ; elle ajouta que le Roi le lui avoit defendu. Cette excuse fut le comble de la politesse. Le Roi, tres attentif à ne faire sentir à la reine d’Angleterre rien de sa triste situation, n’avoit garde de souffrir qu’elle prit une mante, ni le roi d’Angleterre un grand manteau, pour recevoir le grand deuil de ceremonie d’un Dauphin et qui n’etoit pas roi. En se levant, ils voulurent aller chez la princesse d’Angleterre, mais la reine les arreta et l’envoya chercher. Elle se contenta que la visite fut marquée. On ne se rassit point. La princesse, qui à cause de la reine sa mere etoit sans mante, ne pouvoit avoir de fauteuil devant elle, ni les Fils et Filles de France sans fauteuil devant la reine dans le sien, ni garder le leur en presence de la princesse d’Angleterre sur un ployant. La visite finit de la sorte. De toute la Cour de Saint Germain, aucune dame ne parut en mante, ni aucun homme en manteau long que le seul duc de Berwick, à cause de ses dignités françoises.
[…]
[p. 313] Le roi d’Angleterre partit, en ce meme temps, pour aller voyager par le royaume, ennuyé apparemment de ses tristes campagnes incognito, et plus encore de demeurer à Saint Germain pendant la guerre. On soupçonna du mystere en ce voyage, sans qu’il n’y en eut aucun. Il alla avec une petite suite d’abord à Dijon, puis en France Comté, en Alsace, et voir l’armée d’Allemagne ; de là par Lyon en Dauphiné, à l’armée du duc de Berwick, voir les ports de Provence, et revenir par le Languedoc et la Guyenne.
[…]
[t. 10, p. 16] Le roi Jacques revint aussi à Saint Germain, apres avoir employé tout l’eté à voir les principales provinces du royaume, quelques unes de nos armées et plusieurs de nos ports.
[…]
[t. 11, p. 32] [1714] M. de Lauzun fut arreté en decembre 1671, à Saint Germain, dans sa chambre, un soir qu’il revenoit de Paris rapporter des pierreries à madame de Montespan qui l’en avoit chargé. Il etoit capitaine des gardes, et fut arreté par le marquis de Rochefort, depuis marechal de France, qui l’etoit aussi, car un capitaine des gardes ne peut etre arreté [p. 3] que par un autre capitaine des gardes.
[…]
[p. 43] La reine d’Angleterre tomba malade à Saint Germain, et reçut tous les sacrements. Les medecins la condamnoient, et elle en etoit contente ; la vie n’avoit rien qui put l’attacher depuis bien des années, et elle faisoit le plus saint usage de ses malheurs. Le Roi lui rendit de grands soins pendant cette maladie, et madame de Maintenon aussi.
Le duc de Melford mourut à Saint Germain. Il avoit la Jarretiere, avoit eté secretaire d’Etat d’Ecosse, et etoit frere du duc de Perth, aussi chevalier de la Jarretiere. Il avoit essuyé des soupçons et des exils. On a vu que le feu roi Jacques avoit cru en mourant qu’ils avoient eté mal fondés, et qu’en reparation il l’avoit fait duc. Tout le monde à Saint Germain et à Versailles n’en fut pas aussi persuadé que ce prince.
[…]
[p. 174] Le lendemain lundi 28 [août 1714], la reine d’Angleterre vint de Chaillot, où elle etoit presque toujours, avec madame de Maintenon. Le Roi fut l’y trouver. Dès qu’il l’aperçut : « Madame, lui dit il en homme plein et faché, j’ai fait mon testament, on m’a tourmenté pour le faire ».
[…]
[t. 12, p. 57] [1715] Le Roi partit le mardi 12 juin pour Marly : ce fut son dernier voyage ; et la reine d’Angleterre partit le lendemain en litiere pour aller prendre les eaux de Plombieres, plus encore pour voir le roi son fils.
[…]
[p. 66] Nesmond, eveque de Bayeux, mourut aussi doyen de l’episcopat de France, à quatre vingt six ans. […] [p. 67] Tant que le roi Jacques vecut en France, il lui donnoit tous les ans dix mille ecus, et jamais on ne l’a su qu’apres la mort de l’eveque.
[…]
[p. 452] Plusieurs choses contribuerent à tirer pour toujours la Cour hors de Paris, et à la tenir sans interruption à la campagne. Les troubles de la minorité, dont cette ville fut le grand theatre, en avoient imprimé au roi l’aversion, et la persuasion encore que son sejour y etoit dangereux, et que la residence de la Cour ailleurs rendroit à Paris les cabales moins aisées par la distance des lieux, quelque peu eloignés [p. 453] qu’ils fussent, et en meme temps plus difficiles à cacher par les absences si aisées à remarquer. Il ne pouvoit pardonner à Paris sa sortie fugitive de cette ville la veille des Rois (1649), ni de l’avoir rendue, malgré lui, temoin de ses larmes, à la premiere retraite de madame de La Valliere. L’embarras des maitresses, et le danger de pousser de grands scandales au milieu d’une capitale si peuplée, et si remplie de tant de differents esprits, n’eut pas peu de part à l’en eloigner. Il s’y trouvoit importuné de la foule du peuple à chaque fois qu’il sortoit, qu’il rentroit, qu’il paroissoit dans les rues ; il ne l’etoit pas moins d’une autre sorte de foule de gens de la ville, et qui n’etoit pas pour aller assidument plus loin. Des inquietudes aussi, qui ne furent pas plutôt apercues que les plus familiers de ceux qui etoient commis à sa garde, le vieux Noailles, M. de Lauzun et quelques subalternes, firent leur cour de leur vigilance, et furent accusés de multiplier expres de faux avis qu’ils se faisoient donner, pour avoir occasion de se faire valoir et d’avoir plus souvent des particuliers avec le Roi ; le gout de la promenade et de la chasse, bien plus commodes à la campagne qu’à Paris, eloigné des forets et sterile en lieux de promenades ; celui des batiments qui vint apres, et peu à peu toujours croissant, ne lui en permettoit pas l’amusement dans une ville où il n’auroit pu eviter d’y etre continuellement en spectacle ; enfin l’idée de se rendre plus venerable en se derobant aux yeux de la multitude, et à l’habitude d’en etre vu tous les jours, toutes ces considerations fixerent le Roi à Saint Germain bientôt apres la mort de la Reine sa mere.
Ce fut là où il commença à attirer le monde par les fetes et les galanteries, et à faire sentir qu’il vouloit etre vu souvent.
L’amour de madame de La Valliere, qui fut d’abord un mystere, donna lieu à de frequentes promenades à Versailles, petit chateau de cartes alors, bati par Louis XIII ennuyé, et [p. 454] sa suite encore plus, d’y avoir souvent couché dans un mechant cabaret à rouliers et dans un moulin à vent, excedés de ses longues chasses dans la foret de Saint Leger et plus loin encore, loin alors de ces temps reservés à son fils où les routes, la vitesse des chiens et le nombre gagé des piqueurs et des chasseurs à cheval a rendu les chasses si aisées et si courtes. Ce monarque ne couchoit jamais ou bien rarement à Versailles qu’une nuit, et par necessité ; le Roi son fils, pour etre plus en particulier avec sa maitresse, plaisirs inconnus au Juste, au heros, digne fils de saint Louis, qui batit ce petit Versailles.
Ces petites parties de Louis XIV y firent naitre peu à peu ces batiments immenses qu’il y a faits, et leur commodité pour une nombreuse Cour, si differente des logements de Saint Germain, y transporta tout à fait sa demeure peu de temps avant la mort de la Reine. Il y fit des logements infinis, qu’on lui faisoit sa cour de lui demander, au lieu qu’à Saint Germain, presque tout le monde avoit l’incommodité d’etre à la ville, et le peu qui etoit logé au chateau y etoit etrangement à l’etroit.
Les fetes frequentes, les promenades particulieres à Versailles, les voyages furent des moyens que le Roi saisit pour distinguer et pour mortifier en nommant les personnes qui à chaque fois en devoient etre, et pour tenir chacun assidu et attentif à lui plaire. Il sentoit qu’il n’avoit pas à beaucoup pres assez de graces à repandre pour faire un effet continuel. Il en substitua donc aux veritables d’ideales, par la jalousie, les petites preferences qui se trouvoient tous les jours, et pour ainsi dire, à tous moments, par son art. Les esperances que ces petites preferences et ces distinctions faisoient naitre, et la consideration qui s’en tiroit, personne ne fut plus ingenieux que lui à inventer sans cesse ces sortes de choses. Marly, dans la suite, lui fut en cela d’un plus grand usage, et Trianon où tout le monde, à la verité, pouvoit lui aller faire sa cour, mais où les dames avoient l’honneur de manger [p. 455] avec lui, et où à chaque repas elles etoient choisies ; le bougeoir qu’il faisoit tenir tous les soirs à son coucher par un courtisan qu’il vouloit distinguer, et toujours entre les plus qualifiés de ceux qui s’y trouvoient, qu’il nommoit tout haut au sortir de sa priere. Les justaucorps à brevet fut une autre de ces inventions. Il etoit doublé de rouge avec les parements et la veste rouge, brodé d’un dessin magnifique or et un peu d’argent, particulier à ces habits. Il n’y en avoit qu’un nombre, dont le Roi, sa famille et les princes du sang etoient ; mais ceux-ci, comme le reste des [p. 456] courtisans, n’en avoient qu’à mesure qu’il en vaquoit. Les plus distingués de la Cour par eux-mêmes ou par la faveur les demandoient au Roi, et c’etoit une grace que d’en obtenir. Le secretaire d’Etat ayant la Maison du Roi en son departement en expedioit lebrevet, et nul d’eux n’etoit à portée d’en avoir. Ils furent imaginés pour ceux, en tres petit nombre, qui avoient la liberté de suivre le Roi aux promenades de Saint Germain à Versailles sans etre nommés, et depuis que cela cessa, ces habits ont cessé aussi de donner aucun privilege, excepté celui d’etre portés quoiqu’on fut en deuil de Cour ou de famille, pourvu que le deuil ne fut pas grand ou qu’il fut sur ces fins, et dans les temps encore où il etoit defendu de porter de l’or et de l’argent.
[…]
[p. 465] Rien, jusqu’à lui, n’a jamais approché du nombre et de la magnificence de ses equipages de chasse et de toutes ses autres sortes d’equipages. Ses batiments, qui les pourroit denombrer ? En meme temps, qui n’en deplorera pas l’orgeuil, le caprice, le mauvais gout ? Il abandonna Saint Germain [p. 466] et ne fit jamais à Paris ni ornement ni commodité que le pont Royal, par pure necessité, en quoi, avec son incomparable etendue, elle est si inferieure à tant de villes dans toutes les parties de l’Europe. […]
Saint Germain, lieu unique pour rassembler les merveilles de la vue, l’immense plain pied d’une foret toute joignante, unique encore par la beauté de ses arbres, de son terrain, de sa situation, l’avantage et la facilité des eaux de source sur cette elevation, les agrements admirables des jardins, des hauteurs et des terrasses, qui les unes sur les autres se pouvoient si aisement conduire dans toute l’etendue qu’on auroit voulu, les charmes et les commodités de la Seine, enfin, une ville toute faite et que sa position entretenoit par elle meme, il l’abandonna pour Versailles, le plus triste et le plus ingrat de tous les lieux, sans vue, sans bois, sans eau, sans terre, parce que tout y est sable mouvant ou marecage, sans air par consequent qui n’y peut etre bon.
[…]
[t. 13, p. 37] Reine en particulier, à l’exterieur pour le ton, le siege et la place en presence du roi, de Monseigneur, de Monsieur, de la cour d’Angleterre et de qui que ce fut, [madame de Maintenon] etoit tres simple particuliere au dehors, et toujours aux dernieres places. J’en ai vu les fins aux diners du Roi à Marly, mangeant avec lui et les dames, et à Fontainbleau en grand habit chez la reine d’Angleterre, comme je l’ai remarqué ailleurs, cedant absolument sa place, et se reculant partout pour les femmes titrées, meme pour des femmes de qualité distinguées.
[…]
[p. 50] Reine dans le particulier, madame de Maintenon n’etoit jamais que dans un fauteuil, et dans le lieu le plus commode de sa chambre, devant le Roi, devant toute la famille royale, meme devant la reine d’Angleterre. Elle se levoit tout au plus pour Monseigneur et pour Monsieur, parce qu’ils alloient [p. 51] rarement chez elle ; M. le duc d’Orleans, ni aucun prince du sang, jamais que par audiences, et comme jamais ; mais Monseigneur, messeigneurs ses fils, Monsieur et M. le duc de Chartres, toujours en partant pour l’armée, et le soir meme qu’ils en arrivoient, ou, s’il etoit trop tard, de bonne heure le lendemain. Pour aucun autre Fils de France, leurs epouses, ou les batards du Roi, elle ne se levoit point, ni pour personne, sinon un peu pour les personnes ordinaires avec qui elle n’avoit point de familiarité, et qui en obtenoient des audiences ; car modeste et polie, elle l’a toujours affecté à ces egards là.
[…]
[p. 101] Il ne se passoit guere quinze jours que le Roi n’allat à Saint Germain, meme apres la mort du roi Jacques II. La cour de Saint Germain venoit aussi à Versailles, mais plus souvent à Marly, et souvent y souper, et nulle fete de ceremonie ou de divertissement qu’elle n’y fut invitée, qu’elle vint et dont elle ne reçut tous les honneurs. Ils etoient reciproquement convenus de se recevoir et se conduire dans le [p. 102] milieu de leur appartement. A Marly, le Roi les recevoit et les conduisoit à la porte du petit salon du coté de la Perspective, et les y voyoit descendre et monter dans leur chaise à porteurs ; à Fontainebleau, tous les voyages, au haut de l’escalier à fer à cheval, depuis que le Roi leur eut accordé de ne les aller plus recevoir et conduire au bout de la foret. Rien n’etoit pareil aux soins, aux egards, à la politesse du Roi pour eux, ni à l’air de majesté et de galanterie avec lequel cela se passoit à chaque fois.
[…]
[p. 291] [1715] Le Prétendant partit deguisé de Bar, accompagné de trois ou quatre personnes seulement, vint à Chaillot où M. de Lauzun avoit une ancienne petite maison où il n’alloit jamais, et qu’il avoit gardée par fantaisie, quoiqu’il eut celle de Passy dont il faisoit beaucoup d’usage. Ce fut où le Pretendant coucha, et où il vit la reine sa mere, qui etoit souvent et longtemps aux Filles de Sainte Marie de Chaillot ; et de là partit pour aller s’embarquer en Bretagne par la route d’Alençon, dans une chaise de poste de Torcy.
Stairs decouvrit cette marche, et resolut de ne rien oublier pour delivrer son parti de ce reste unique des Stuarts. […] Nonancourt est une espece de petite villette sur ce chemin, à dix neuf lieues de Paris. […] [p. 293] C’etoit la chaise attendue, à qui, et à trois hommes qui l’accompagnoient à cheval, on fit, sans qu’elle sut pourquoi, prendre le petit pas. C’etoit le roi Jacques. Madame Lospital l’aborde, lui dit qu’il est attendu et perdu s’il n’y prend garde, mais qu’il ait à se fier à elle et à la [p. 294] suivre ; et les voilà allés chez l’amie. Là il apprend tout ce qui s’est passé, et on le cache le mieux qu’il est possible. […]
[p. 295] La reine d’Angleterre fit venir madame Lospital à Saint Germain, la remercia, la caressa comme elle le meritoit, et lui [p. 296] donna son portrait ; ce fut tout : le regent, quoi que ce soit ; et longtemps après, le roi Jacques lui ecrivit et lui envoya aussi son portrait.
[…]
[t. 15, p. 233] [1718] On a vu la brouillerie du duc de Noailles et de Law, le replâtrage qui s’y fit, le gré sensible que M. le duc d’Orleans sut au duc de Noailles de sa complaisance et de ses protestations à cet egard, et l’apreté avec laquelle il en sut profiter pour en tirer le gouvernement et la capitainerie de Saint Germain, qu’il avoit toute sa vie muguetée, et que la fortune lui livra precisement dans ce favorable instant par la prompt mort de Mornay sans enfants.
[…]
[p. 274] M. de Lorraine alla courre le cerf à Saint Germain avec les chiens du prince Charles. Le duc de Noailles n’eut garde de manquer cette occasion de faire sa cour au régent. Il donna à M. de Lorraine un grand retour de chasse au Val.
[…]
[p. 332] La reine d’Angleterre mourut le 7 mai à Saint Germain apres dix ou douze jours de maladie. Sa vie, depuis qu’elle fut en France, à la fin de 1688, n’a eté qu’une suite de malheurs qu’elle a heroiquement portés jusqu’à la fin, dans l’oblation à Dieu, le detachement, la penitence, la priere et les bonnes œuvres continuelles, et toutes les vertus qui consomment les saints. Parmi la plus grande sensibilité naturelle, beaucoup d’esprit et de hauteur naturelle, qu’elle sut captiver etroitement et humilier constamment, avec le plus grand air du monde, le plus majestueux, le plus imposant, avec cela doux et modeste. Sa mort fut aussi sainte qu’avoit eté sa vie. Sur les six cent mille livres que le Roi lui donnoit par an, elle s’epargnoit tout pour faire subsister les pauvres Anglois dont Saint Germain etoit rempli. Son corps fut porté le surlendemain aux Filles de Sainte Marie de [p. 333] Chaillot, où il est demeuré en depot, et où elle se retiroit souvent. La Cour ne prit aucun soin ni part en ses obseques. Le duc de Noailles alla à Saint Germain comme gouverneur du lieu et comme capitaine des gardes, pour ordonner seulement que tout y fut decent. Le deuil ne fut que de trois semaines.
[…]
[t. 17, p. 184] [1719] Le samedi au soir 15 avril, veille de la Quasimodo, mourut à Saint Cyr la celebre et fatale madame de Maintenon. […] [p. 185] Elle se retira à Saint Cyr au moment meme de la mort du roi, et eut le bon sens de s’y reputer morte au monde, et de n’avoir jamais mis le pied hors de la cloture de cette maison. […]
Une fois la semaine, quand la reine d’Angleterre etoit à Saint Germain, [elle] alloit diner avec elle, mais de Chaillot, où elle passoit des temps considerables, elle n’y alloit pas. Elles avoient chacune leur fauteuil égal, vis à vis l’une de l’autre. A l’heure du diner, on mettoit une table entre elles deux, leur couvert, les premiers plats et une cloche. C’etoit les jeunes demoiselles de la chambre qui faisoient tout ce menage, et qui leur servoit à boire, des assiettes et un nouveau service quand la cloche les appeloit ; la reine leur temoignoit toujours quelques bontés. Le repas fini, elles desservoient et otoient tout de la chambre, puis apportoient [p. 186] et rapportoient le café. La reine y passoit deux ou trois heures tete à tete, puis elles s’embrassoient ; madame de Maintenon faisoit trois ou quatre pas en la recevant et en la conduisant ; les demoiselles, qui etoient dans l’antichambre, l’accompagnoient à son carrosse, et l’aimoient fort, parce qu’elle leur etoit fort gracieuse. […]
[p. 187] Madame de Maintenon, comme à la Cour, se levoit matin et se couchoit de bonne heure. […] Son diner etoit simple, mais delicat et recherché dans sa simplicité, et tres abondant en tout. Le duc de Noailles, apres Mornay et Bloin, ne la laissoient pas manquer de gibier de Saint Germain et de Versailles, ni les Batiments de fruits.
[…]
[p. 247] [1719] Peu de jours apres, le duc de Richelieu sortit de la Bastille et alla coucher à Conflans chez le cardinal de Noailles. Il etoit veuf sans enfants de sa niece, mais, par son traité avec l’Espagne, il avoit voulu depouiller le duc de Guiche, autre neveu du cardinal de Noailles, du regiment des gardes, et l’avoir. Il devoit s’en aller à Richelieu ; il obtint d’aller faire une pause à Saint Germain, où il avoit une maison, puis d’y demeurer, apres d’etre à Paris sans voir le Roi ni le regent ; au bout de trois mois il eut permission de les saluer, et tout fut bientôt oublié.
[…]
[p. 451] [1720] Le duc de Perth mourut presque en meme temps dans le château de Saint Germain, où il etoit demeuré. C’etoit un seigneur qui avoit quitté de grands etablissements en Ecosse, par fidelité pour le roi Jacques, qui le fit gouverneur du prince de Galles. Sa femme etoit morte à Saint Germain, dame d’honneur de la reine d’Angleterre, dont il etoit grand ecuyer. C’etoit un homme d’honneur et de beaucoup de pieté, qui valoit bien mieux que le duc de Melford son frere. Le roi Jacques les fit ducs tous les deux, le dernier en mourant, comme on l’a vu en son lieu, et leur donna à tous deux la Jarretière.
[…]
[p. 473] L’abbé Gautier, dont il est si bien et si souvent parlé dans ce qui a été donné ici, d’après M. de Torcy, sur les negociations de la paix avec la reine Anne, et de celle d’Utrecht, mourut dans un appartement que le feu roi lui avoit donné dans le chateau neuf de Saint Germain, avec des pensions et une abbaye. Il s’y etoit retiré aussitôt apres ces negociations où il avoit eté si heureusement employé, apres en avoir ouvert lui-même le premier chemin, et rentra en home de bien modeste et humble, dans son etat naturel, et y vecut comme s’il ne se fut jamais melé de rien, avec une rare simplicité, et qui a peu d’exemples en des gens de sa sorte, qui, dans le maniement des affaires les plus importances et les plus secretes, dont lui-même avoit donné la premiere clef, sans s’intriguer, s’etoit concilié l’estime et l’affection du roi et de ses ministres, de la reine Anne et des siens, et des plenipotentiaires qui travaillerent à ces deux paix.
[…]
[t. 20, p. 39] [1723] Le duc de Lauzun etoit un petit homme, blondasse, bien fait dans sa taille, de physionomie haute, pleine d’esprit, qui imposoit, mais sans agrement dans le visage, à ce que j’ai ouï dire aux gens de son temps. […] Il vint à la Cour sans aucun bien, cadet de Gascogne fort jeune, debarquer de sa province sous le nom de marquis de Puyguilhem. […] [p. 40] Le duc Mazarin, dejà retiré de la Cour, en 1669 voulut se defaire de sa charge de grand maitre de l’artillerie ; Puyguilhem en eut le vent des premiers, il la demanda au Roi qui la lui promit, mais sous le secret pour quelques jours. Le jour venu que le Roi lui avoit dit qu’il le declareroit, Puyguilhem, qui avoit les entrées des premiers gentilshommes de la chambre, qu’on nomme aussi les grandes entrées, alla attendre la sortie du Roi du conseil des finances, dans une piece où personne n’entroit pendant le Conseil, entre celle où toute la Cour attendoit et celle où le Conseil se tenoit. Il y trouva Nyert, premier valet de chambre en quartier, qui lui demanda par quel hasard il y venoit ; Puyguilhem, sur de son affaire, crut se devouer ce premier valet de chambre en lui faisant confidence de ce qui alloit se declarer en sa faveur ; Nyert lui en temoigna sa joie, puis tira sa montre, et vit qu’il avoit encore le temps d’aller executer, disoit il, quelque chose de court et de pressé que le Roi lui avoit ordonné : il monte quatre à quatre un petit degré au haut duquel etoit le bureau où Louvois travailloit toute la journée, car à Saint Germain les logements etoient fort petits et fort rares, et les ministres et presque toute la Cour logeoient chacun chez soi, à la ville. Nyert entre dans le bureau de Louvois, et l’avertit qu’au sortir du conseil des finances, dont Louvois n’etoit point, Puyguilhem alloit etre declaré grand maitre de l’artillerie, et lui conte ce qu’il venoit d’apprendre de lui meme, et où il l’avoit laissé.
Louvois haissoit Puyguilhem, ami de Colbert, son emule, [p. 41] et il craignoit la faveur et les hauteurs dans une charge qui avoit tant de rapports necessaires avec son departement de la guerre, et de laquelle il envahissoit les fonctions et l’autorité tant qu’il pouvoit, ce qu’il sentoit que Puyguilhem ne seroit ni d’humeur ni de faveur à souffrir. Il embrasse Nyert, le remercie, le renvoie au plus vite, prend quelque papier pour lui servir d’introduction, descend, et trouve Puyguilhem et Nyert dans cette piece ci devant dire. Nyert fait le surpris de voir arriver Louvois, et lui dit que le Conseil n’est pas levé. « N’importe, repondit Louvois, je veux entrer, j’ai quelque chose de pressé à dire au Roi », et tout de suite entre ; le Roi, surpris de le voir, lui demande ce qui l’amene, et lui dit qu’il sait qu’il va declarer Puyguilhem grand maitre de l’artillerie, qu’il l’attend à la sortie du Conseil dans la piece voisine, que Sa Majesté est pleinement maitresse de ses graces et de ses choix, mais qu’il a cru de son service de lui representer l’incompatibilité qu’il est entre Puyguilhem et lui, ses caprices, ses hauteurs ; qu’il voudra tout faire et tout changer dans l’artillerie ; que cette charge a une si necessaire connexion avec le departement de la guerre, qu’il est impossible que le service s’y fasse parmi des entreprises et des fantaisies continuelles, et la mesintelligence declarée entre le grand maitre et le secretaire d’Etat, dont le moindre inconvenient sera d’importuner Sa Majesté tous les jours de leurs querelles et de leurs reciproques pretentions, dont il faudra qu’Elle soit juge à tous moments.
Le Roi se sentit extremement piqué de voir son secret su à celui à qui principalement il le vouloit cacher, repond à Louvois d’un air fort serieux que cela n’est pas fait encore, le congedie et va se rasseoir au Conseil. Un moment apres qu’il fut levé, le Roi sort pour aller à la messe, voit Puyguilhem et passe sans lui rien dire. Puyguilhem, fort etonné, attend le reste de la journée, et voyant que la declaration [p. 42] promise ne venoit point, en parle au Roi à son petit coucher. Le Roi lui repond que cela ne se peut encore, et qu’il verra : l’ambiguité de la reponse et son ton sec alarment Puyguilhem ; il avoit le vol des dames et le jargon de la galanterie ; il va trouver madame de Montespan, à qui il conte son inquietude, et qu’il conjure de la faire cesser. Elle lui promet merveilles et l’amuse ainsi plusieurs jours.
Las de tout ce manege et ne pouvant deviner d’où lui vient son mal, il prend une resolution incroyable si elle n’etoit attestée de toute la Cour d’alors. Il couchoit avec une femme de chambre favorite de madame de Montespan, car tout lui etoit bon pour etre averti et protegé, et vient à bout de la plus hasardeuse hardiesse dont on ait jamais ouï parler. Parmi tous ses amours, le Roi ne decoucha jamais d’avec la Reine, souvent tard, sans y manquer, tellement que pour etre plus à son aise, il se mettoit les apres dinées entre deux draps chez ses maitresses. Puyguilhem se fit cacher par cette femme de chambre sous le lit dans lequel le Roi s’alloit mettre avec madame de Montespan, et par leur conversation, y apprit l’obstacle que Louvois avoit mis à sa charge, la colere du Roi de ce que son secret avoit eté eventé, sa resolution de ne lui point donner l’artillerie par ce depit, et pour eviter les querelles et l’importunité continuelle d’avoir à les decider entre Puyguilhem et Louvois. Il y entendit tous les propos qui se tinrent de lui entre le Roi et sa maitresse, et que celle ci, qui lui avoit promis tous ses bons offices, lui en rendit tous les mauvais qu’elle put. Une toux, le moindre mouvement, le plus leger hasard pouvoit deceler ce temeraire, et alors que seroit il devenu ? Ce sont de ces choses dont le recit etouffe et epouvante à la fois.
Il fut plus heureux que sage, et ne fut point decouvert. Le Roi et sa maitresse sortirent enfin de ce lit ; le Roi se rhabilla et s’en alla chez lui, madame de Montespan se mit à sa toilette pour aller à la repetition d’un ballet où le Roi, la Reine et toute la Cour devoit aller. La femme de chambre tira [p. 43] Puyguilhem de dessous ce lit, qui apparemment n’eut pas un moindre besoin d’aller se rajuster chez lui. De là il s’en vint se coller à la porte de la chambre de madame de Montespan.
Lorsqu’elle en sortit pour aller à la repetition du ballet, il lui presenta la main, et lui demanda avec un air plein de douceur et de respect, s’il pouvoit se flatter qu’elle eut daigné se souvenir de lui aupres du Roi. Elle l’assura qu’elle n’y avoit pas manqué, et lui composa comme il lui plut tous les services qu’elle venoit de lui rendre. Par ci, par là, il l’interrompit credulement de questions pour la mieux enferrer, puis s’approchant de son oreille, il lui dit qu’elle etoit une menteuse, une friponne, une coquine, une p… à chien, et lui repeta mot pour mot toute la conversation du Roi et d’elle. Madame de Montespan en fut si troublée qu’elle n’eut pas la force de lui repondre en un seul mot, et à peine de gagner le lieu où elle alloit, avec grande difficulté à surmonter et à cacher le tremblement de ses jambes et de tout son corps, en sorte qu’en arrivant dans le lieu de la repetition du ballet, elle s’evanouit. Toute la Cour y etoit déjà. Le Roi tout effrayé vint à elle, on eut de la peine à la faire revenir. Le soir elle conta au Roi ce qui lui etoit arrivé, et ne doutoit pas que ce ne fut le diable qui eut sitot et si precisement informé Puyguilhem de tout ce qu’ils avoient dit de lui dans ce lit. Le Roi fut extremement irrité de toutes les injures que madame de Montespan en avoit essuyées, et fort en peine comme Puyguilhem avoit [pu] etre si exactement et si subitement instruit.
Puyguilhem, de son coté, etoit furieux de manquer l’artillerie, de sorte que le Roi et lui se trouvoient dans une etrange contrainte ensemble. Cela ne put durer que quelques jours. Puyguilhem, avec ses grandes entrées, epia un tete à tete avec le Roi et le saisit. Il lui parla de l’artillerie et le somma audacieusement de sa parole. Le Roi lui repondit qu’il n’en etoit plus tenu, puisqu’il ne la lui avoit donnée [p. 44] que sous le secret, et qu’il y avoit manquée. La dessus Puyguilhem s’eloigne de quelques pas, tourne le dos au Roi, tire son epée, en casse la lame avec son pied, et s’ecrie en fureur qu’il ne servira plus de sa vie un prince qui manque si vilainement de parole. Le Roi, transporté de colere, fit peut etre dans ce moment la plus belle action de sa vie. Il se tourne à l’instant, ouvre la fenetre, jette sa canne dehors, dit qu’il seroit faché d’avoir frappé un homme de qualité, et sort.
Le lendemain matin, Puyguilhem, qui n’avoit osé se montrer depuis, fut arreté dans sa chambre et conduit à la Bastille. Il etoit ami intime de Guitry, favori du Roi, pour lequel il avoit créé la charge de grand maitre de la garde robe. Il osa parler au Roi en sa faveur, et tacher de rappeler ce gout infini qu’il avoit pris pour lui. Il reussit à toucher le Roi d’avoir fait tourner la tete à Puyguilhem par le refus d’une assi grande charge, sur laquelle il avoit cru devoir compter sur sa parole, tellement que le Roi voulut reparer ce refus. Il donna l’artillerie au comte du Lude, chevalier de l’ordre en 1661, qu’il aimoit fort par habitude et par la conformité du gout de la galanterie et de la chasse. Il etoit capitaine et gouverneur de Saint Germain, et premier gentilhomme de la chambre. Il le fit duc non verifié ou à brevet en 1675. La duchesse du Lude, dame d’honneur de madame la Dauphine-Savoie, etoit sa seconde femme et veuve sans enfants. Il vendit sa charge de premier gentilhomme de la chambre, pour payer l’artillerie, au duc de Gesvres, qui etoit capitaine des gardes du corps, et le Roi fit offrir cette derniere charge en dedommagement à Puyguilhem, dans la Bastille. Puyguilhem, voyant cet incroyable et prompt retour du Roi pour lui, reprit assez d’audace por se flatter d’en tirer un plus grand parti, et refusa. Le Roi ne s’en rebuta point. Guitry alla precher son ami dans la Bastille, et obtint à grand peine qu’il auroit la bonté d’accepter l’offre du Roi. Des qu’il eut accepté, il sortit de la Bastille, alla [p. 45] saluer le Roi, et preter serment de sa nouvelle charge, et vendit les dragons. »

Saint-Simon, Louis de Rouvroy (duc de)

Lettre de Guy Patin mentionnant le séjour du roi à Saint-Germain-en-Laye

« Le Roi se trouve si bien à Saint Germain, et il s’y plait tant qu’il y veut passer l’hiver, et ne revenir à Paris qu’à la fin du careme.
[…]
L’envoyé du Grand Turc n’est plus à Issy, il est aujourd’hui logé dans Paris, derriere la place Royale, à l’hôtel de ville ; il a eté à Saint Germain en ceremonie, mais on ne sait encore rien de particulier de ces affaires. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, donnant des nouvelles de la cour à Saint-Germain-en-Laye

« A Paris, le 15 novembre 1669
[…]
[p. 360] Il n’y a pas de nouvelles à la Cour, les choses y vont de leur train ordinaire, les dames y sont belles, propres et de bonne humeur parce qu’elles se divertissent bien et sont riches ; elles sont aussi les seules, tout le reste rampe et, hors de leur appartement, il n’y a ni joie ni contentement à Saint Germain, où Leurs Majestés passeront l’hiver, de quoi il me fâche fort car pour [p. 361] être là à temps pour voir le Roi ou les ministres, il faut en ce temps ci partir une heure avant le jour, outre qu’il en coûte beaucoup dans ces hôtelleries, mais il faut s’y résoudre et n’en pas parler puisque le Roi s’y aime. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, concernant le départ de la cour pour Saint-Germain-en-Laye

« Paris, le 24 avril 1669
La Cour ira lundi à Saint Germain, et pour longtemps. Les dames sont prêtes à voyager après avoir [p. 305] demeuré cinq mois à aller chez la Reine ; elles l’ont vue aux Carmélites et à sa toilette ; ce n’a pas été sans quelques railleries de son côté, mais très modérées et galantes. C’est un petit miracle de voir de l’air qu’elle prend ces sortes de choses. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, concernant une visite à la duchesse de La Vallière à Saint-Germain-en-Laye

« A Paris, le 12 novembre 1669
Je viens de Saint Germain, où j’étais allé exprès pour voir madame la duchesse de La Vallière, M. de Bonneuil m’ayant dit samedi dernier qu’elle recevrait à grand honneur la visite que je lui voulais faire. M. de Bonneuil m’y a introduit d’abord après dîner et, en montant à son appartement, il m’a dit que je n’y demeurasse pas longtemps parce que le Roi l’attendait pour aller au promenoir. Elle m’a reçu avec sa bonne grâce et civilité ordinaires ; je lui ai fait mot pour mort le compliment que Votre Altesse royale m’avait commandé ; elle m’a répondu qu’elle était bien obligée à Votre Altesse royale de l’honneur qu’Elle lui faisait ; [p. 354] qu’elle le recevait avec respect et qu’elle la remerciait des bontés qu’elle avait pour M. le duc de Vermandois, en attendant qu’il fût en âge de l’en aller remercier lui même. Nous avons fait encore quelques compliments réciproques et très obligeants, puis je me suis retiré. Il y avait dans sa chambre mesdames les marquises de La Vallière et d’Heudicourt ; madame de Montespan n’a pas tardé de les joindre, car, comme j’étais au bas de leurs degrés, elles sont descendues, montées en carrosse et allées attendre le Roi à Versailles, qui les a suivies de bien près.
J’ai été fâché de ce voyage, qui est cause que j’ai pu si peu demeurer auprès de cette dam, où je m’aimerais fort. Je l’ai trouvée toujours mieux faite que l’autre ; elle a ce je ne sais quoi qui sait charmer et, si elle avait de l’embonpoint, elle passerait pour très belle. Son appartement est merveilleux autant pour la propreté que pour la richesse. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, donnant des nouvelles de la cour à Saint-Germain-en-Laye

« A Paris, le 22 novembre 1669
[…]
[p. 362] Je n’ai pas pu aller cette semaine à Saint Germain à cause des affaires de Madame ; mais j’y irai dimanche ou mardi et porterai le dessin de la Vénerie royale pour le faire voir au Roi. Vendredi dernier que j’y fus, je vis madame la duchesse de La Vallière à la messe, elle était dans les tribunes d’en haut ; dès que j’y jetai les yeux, j’en reçus un grand salut auquel je répondis par des révérences très soumises. J’ai su que le Roi et elles ont été très satisfaits de ma visite. Je ne saurais les lui continuer parce que personne ne va chez elle, mais chez la Reine et partout où je la trouverai je la visiterai et tâcherai de la bien persuader de l’estime qu’a pour elle Votre Altesse royale et des ordres qu’Elle m’a donnés de lui faire ma cour et de lui rendre dans toutes sortes de rencontres mes fidèles et respectueux services.
Le Roi, sans que personne le sache, a fait préparer [p. 363] de beaux appartements à ces dames dans les Tuileries et s’est enfin résolu de venir faire quelque séjour en cette ville car les fermiers des entrées demandent de grands rabais à cause qu’il demeure si longtemps à Saint Germain. »

Lettre de Carlo Vigarani à la duchesse de Modène concernant la réception du grand-duc de Toscane et le petit appartement du roi à Saint-Germain-en-Laye

« Serenissima Altezza,
Dal letto, ove m’ha confinato alucni giorni sono l’excessiva occupatione havuta per le feste fattesi all’arrivo e dimora qui del Serenissimo Gran Principe di Toscana, subito ricevuti i pregiatissimi commandi de L. A. V. Serenissima, ho’ avisato il signore Pouch, acio con la sua destrezza, e in conformita d’essi commandi, dia qualche lume dell’intentione che hanno cuca il partito le persone, che pensano a la compra de le rendite dell’A. V. Serenissima, siche col prossimo ordinario spero potergliene render conto.
Con l’ultima mia avisai l’arrivo a la corte del Serenissimo Gran Principe, e come S. M. lo havesse ricevuto a la prima visita, come per sorpresa, cise ch’essendo S. M. ne la sua camera con il solo duca di Saint Agnan, ora primo gentilhuoma, e con tre o quattr’altri servitori all’entrar di S. A. mostra d’esser sorpreso, e lasciato il capello su la tavola s’avanzo alcuni passi a riceverlo. E di la lo condusse egli stesse da la Regina. Qualche giorno dopo, il Re havendolo contotto a Versaglia ivi lo regalo di musiche, balli, comedie, collationi, giardini illuminati, e fuochi d’artifizio ; tornando il Re a San Germano, e S. A a Parigi ove sta alloggiato in casa del suo residente benche sia sevito da tutti gli ufficiali, carozze e staffieri del Signore duca di Guisa, il che m’haveva da prima fatto credere che fosse anche allogiato in sua casa.
A San Germano dopoi sele e fatta redere una comedia galante framezzata con balletti, e musciha, e con qualche scena : cosa pero di poca importanza, dopo la quale ogni volta sene ritorna a dormir a Parigi, anzi a cena, essendo ben presso a meza notte quando fnisse l’opera, non essendovi stato convito alcuno per anche, ecredo non vene sara. Tutta la casa di Conde e ritirata credo per la discrepannza de titoli e delle precedenze. Li duchi e Pari non l’honna visitato perche non le ha voluto dar la mano. […]
Ha S. M. fatto fare qui due cabinetti nel suo appartamento tutti ricoperti per tutto di specchi incastrati in cornici di legno indorate e sopradipinte, opera richissima del signore Brun, pittore eccelente : sopra gli spechi son dipinti bellissimi comparti d’ornamenti, che fanno un ammirabil vaghezza, ma la pittura e dietro al cristallo tra esso e l’argento vivo ; maniere e studi nuovi a quale vado applicando con la speranza di ripatriare un giorno per godere l’istessa fortuna del Principe nella sua gloriosa servitu alla serenissima casa, e sotto i clementissimi auspizy de L. A. V. Serenissima, a la quale profadamente inchinandom, mi dedico, de L. A. V. Serenissima,
Umilissimo, devotissimo et obligatissimo servitore.
C. Vigarani
Di S. Germano, li 30 Augusto 1669 »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, concernant une comédie donnée à Saint-Germain-en-Laye

« A Paris, le 28 août 1669
Il y eut dimanche dernier une comédie et ballet à Saint Germain. Quoiqu’on n’y conviât personne, la Reine dit qu’elle voulait que l’ambassadrice et sa fille y allassent. Ma femme, étant au lit croyant de s’être blessée, y envoya sa fille et, croyant qu’il [p. 331] y eût bal, elle l’avait parée et mis ses pierreries. Comme la foule y fut très grande, cette enfant a perdu une boîte de diamants et un poinçon de la valeur d’onze ou douze cents pistoles. La Reine lui voulut parler elle-même et donna des ordres aussi bien que le Roi pour que l’on les cherchât, envoya des officiers des gardes dans la salle parler au concierge et au tapissier, qu’ils menacèrent de peines très rigoureuses. Le lendemain, la boîte se trouva dans la retrousse de la robe d’une des demoiselles de mademoiselle de Montpensier ; on la remit à M. le marquis de Saint Damien, qui était là. Pour le poinçon, qui ne vaut pas deux cents pistoles, il est perdu.
Le Roi, l’ayant su, a envoyé aujourd’hui visiter la marquise de Saint Maurice par M. de Bonneuil sur son infirmité. Après avoir fait son compliment, il a demandé l’Angélique, lui a dit que Sa Majesté ayant appris que son poinçon était égaré, que comme il s’en était trouvé un, qu’il le lui envoyait, et lui en a remis un très beau et de [p. 332] grande valeur. On me l’est venu dire dans ma chambre ; je suis passé dans celle de ma femme, j’ai fait mon possible pour le faire reprendre à M. de Bonneuil, lui représentant que je ne méprisais pas les bienfaits du Roi mais que j’étais dans un emploi à ne pouvoir pas les accepter ; il n’a jamais voulu le reprendre, quoique je l’aie prié de le faire et de le garder jusqu’à ce que j’eusse écrit à Votre Altesse royale pour avoir ses ordres sur ce que j’aurais à faire. Il a dit que le Roi ne prétendait pas de me rien donner, mais qu’il ne voulait pas que ma fille perdît rien chez lui et que l’on ne devait rien trouver de suspect en cette action, qu’il était vrai que l’Angélique était belle mais que son âge pouvait bien faire juger que ce n’était que par un motif d’une simple amitié. Je lui ai répondu que je souhaiterais qu’elle fût belle et en âge de pouvoir servir au plaisir du Roi, que je la lui donnerais avec grande joie.
Jamais homme n’a été embarrassé comme je le suis. Tout le monde me dit que, nonobstant mon caractère, je ne puis pas empêcher le Roi de faire des présents à ma fille. Cependant, Monseigneur, je sais que je fais faute et que Votre Altesse [p. 333] royale doit blâmer ma conduite en acceptant ce poinçon. Je la supplie de m’en envoyer son sentiment avec sa bonté ordinaire, car si je ne peux pas rendre ce poinçon, je frai un présent de sa valeur à madame de Bonneuil. Il est d’un seul diamant très grand ; il a bien quelques petits défauts mais, comme je ne m’y connais pas, je ne sais pas l’estimer et j’ai cru qu’il n’était pas honnête d’avoir empressement d’en savoir le prix. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, concernant une audience du roi à Saint-Germain-en-Laye

« A Paris, le 25 octobre 1669
Nous fûmes hier, M. le marquis de La Pierre et moi, conduits par les introducteurs dans les [p. 345] carrosses de Leurs Majestés à Saint Germain. Nous eûmes audience du Roi. Tous les ambassadeurs lui firent le compliment de condoléances sur la mort de la reine mère d’Angleterre. Je lui témoignai aussi la sensible doubleur que Votre Majesté royal en a eue. Je lui présentai ensuite M. le marquis de La Pierre, qui s’acquitta dignement de son compliment avec esprit et bonne grâce ; le Roi lui témoigna par un discours fort obligeant combien il sait bon gré à Votre Altesse royale de la part qu’Elle prend en la conservation de monsieur le Dauphin et fit connaître qu’il avait fort agréé le discours dudit marquis, que toute la Cour trouva très bien fait. Je remerciai aussi Sa Majesté des sentiments qu’Elle a eus du mal de Votre Altesse royale et de la bonté qu’elle avait eue de la faire visiter par un gentilhomme. Il m’assura qu’il avait été en des grandes peines de sa maladie puis qu’il lui souhaitait une santé aussi parfaite qu’à soi même ; il me chargea de la prier de vouloir se conserver pour l’amour de lui.
Nous vîmes monsieur le Dauphin, qui nous [p. 346] demanda des nouvelles de la santé de Votre Altesse royale et, avec la gentillesse qui accompagne toutes ses actions, il chargea M. le marquis de La Pierre d’assurer bien de ses services Vos Altesses royales et monseigneur le prince de Piémont.
La Reine s’était habillée de son mante de deuil pour nous recevoir, mais à midi il lui survint un dévoiement qui nous priva de l’honneur de lui faire la révérence ; on nous a remis à dimanche pour cela. Nous ne vîmes pas M. le duc d’Anjou ni Madame, parce qu’ils dormaient. Monsieur et madame la duchesse d’Orléans n’ont pas voulu recevoir nos compliments à Saint Germain, parce qu’ils n’y ont pas des appartements tenus de deuil ; ils seront ici pour cela un jour de la semaine prochaine. On nous donna à dîner à Saint Germain à l’ordinaire quand on y conduit des envoyés. […]
[p. 348] Comme la Cour arriva dimanche à Saint Germain et que M. de Bonneuil se préparait d’y aller, je lui ai fait voir la lettre que Votre Altesse royale m’a commandé de lui montrer ; il me promit de dire au Roi tout ce qu’elle contenait et de savoir adroitement s’il trouverait bon que je visitasse madame de La Vallière. Hier, à Saint Germain, il m’assura qu’il avait fait le récit au Roi de tout ce qu’il avait lu dans la lettre de Votre Altesse royale, qu’il en avait témoigné de la joie et de l’étonnement que Votre Altesse royale m’écrivit de si longues lettres de sa main et d’affaires ; il lui montra aussi la bague que Votre Altesse royale lui a envoyée, qu’il avait effectivement au doigt ; et quand à la visite de madame de La Vallière, le Roi lui dot de savoir d’elle si elle l’agréerait, il me donna parole de m’en rendre réponse aujourd’hui ou demain. Je lui représentai qu’il ne fallait pas qu’il la vît que le Roi ne fût [p. 349] allé au préalable chez elle, afin qu’elle sût ses sentiments puisque assurément il ne manquerait pas de l’en entretenir dès qu’elle l’approcherait. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, donnant des nouvelles de la cour à Saint-Germain-en-Laye

« Paris, le 6 décembre 1669
Je crois que les dames de la faveur gagneront leur cause et qu’elles empêcheront la Cour de venir cet hiver à Paris ; tout le monde en enrage, on en fait cent contes. L’autre jour, M. le Grand, voyant sur un balcon mesdames de La Vallière, de Montespan et de Soubise, dit tout haut : « Voilà [p. 371] le temps passé, le présent et le futur ». Chacun en dit librement sa pensée et pas un en bien ; le Roi le sait, il s’en rit, il ne laisse pas de s’en divertir, et j’admire en cela sa modération et sa conduite car s’il en faisait quelque démonstration, elle le rendrait haïssable et tout le monde en murmurerait. »

Récit de la participation de la famille royale à la procession du Saint-Sacrement à Saint-Germain-en-Laye

« Le jeudy 12e de juin, feste de l’octave du saint sacrement, le Roy, la Reyne et monseigneur le Dauphin, au retour de leur voyage de Flandre, assisterent à la procession de la parroisse avec grands tesmoignages de leur devotion et à l’edification de touts les assistants. »

Acte de baptême de Louis, fils d’Ali Aga, à Saint-Germain-en-Laye, le roi étant son parrain

« Le 11e de septembre 1670, fut baptisé Louys, aagé de trente six ans ou environ, fils d’Aly Aga et de Merryn, ses pere et mere, de nation turc et mahometan de religion, apres avoir renoncé à son infidelité et faict profession de la foy et religion chrestienne, le parrein pour le Roy haut et puissant seigneur messire Armand du Camboust, duc de Coaslin, pair de France, la marreine pour et au nom de la Reyne haute et puissante dame madame Louyse de Prie, mareschalle de France et gouvernante des Enfants. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, donnant des nouvelles de la cour à Saint-Germain-en-Laye

« A Paris, le 31 janvier 1670
Bien que j’aie su dès le point du jour et même avant que de commencer cette lettre que M. le chevalier de Lorraine avait été hier soir arrêté prisonnier à Saint Germain et que Monsieur en était parti à l’heure, très mal satisfait, néanmoins je n’ai pas cru le devoir faire savoir à Votre Altesse royale que je n’en susse au vrai toutes les circonstances et les causes, ce que j’ai eu de la peine à débrouiller parce qu’on en parle bien différemment à Paris, mais à la fin j’ai su ce [p. 384] qu’Elle verra dans le mémoire ci-joint de ma main, que je n’ai pas le temps de faire copier parce qu’il est fort tard.
Relation de ce qui s’est passé à Saint Germain la nuit du 30 janvier 1670
Le Roi fit donner une petite revue à ses gardes du corps pour avoir prétexte de les assembler et donner ordre à M. le comte d’Ayen, fils de M. le duc de Noailles, capitaine de quartier, et à M. le comte de Lauzun, marquis de Péguilin, d’en prendre quatre cents à l’entrée de la nuit et de se rendre maîtres de toutes les avenues du château neuf, ce qui ne se put faire sans que Monsieur, qui y avait son logement, n’en fût averti, dont il fut fort surpris et en peine. M. Le Tellier entra d’abord dans sa chambre et lui dit que le Roi était fâché d’être forcé, pour le bien de ses affaires, de s’assurer de M. le chevalier de Lorraine, qu’il croyait qu’il y donnerait les mains de bonne grâce puisque Sa Majesté lui avait donné l’ordre de l’assurer de la continuation de son amitié et de son estime. Monsieur lui répartit que, quels traitements que le Roi fît à ce chevalier, [p. 385] qu’il l’aimerait toujours parfaitement et qu’il lui donnerait toute sa confiance mais que, puisque le Roi le traitait de la sorte, qu’il allait partir à l’heure même pour se retirer à Villers Cotterets. M. Le Tellier lui voulut représenter qu’il ne fallait pas aller si loin, que ce serait assez de se retirer à Saint Cloud ; Monsieur lui répliqua qu’il voudrait avoir une maison à trois cents lieues de La Cour pour s’y aller consoler.
M. Le Tellier, voyant entrer le comte d’Ayen dans la chambre, passa en l’appartement de madame la duchesse d’Orléans ; ce comte dit à Monsieur qu’il avait un extrême regret d’être obligé d’exécuter les ordres qu’il avait en sa présence ; il lui répliqua qu’il entendait assez ce qu’il lui voulait dire, il se tourna au chevalier de Lorraine, l’embrassa et se retira dans son cabinet, la larme aux yeux. Le comte d’Ayen fit prisonnier le chevalier de Lorraine avec toute la civilité possible, sans lui ôter son épée, le conduisit dehors de l’appartement de Monsieur, le remit au comte de Lauzun, qui l’amena sur l’heure à la Bastille, dont il est parti aujourd’hui pour être enfermé dans le château de Pierre Encise à Lyon.
[p. 386] M. Le Tellier, qui était passé chez Madame, lui fit le récit de toute la chose et lui demanda ce qu’elle ferait ; elle lui répartit hardiment : ce que Monsieur lui ordonnerait. Ils partirent sur le champ et arrivèrent à Paris environ minuit. Monsieur fit appelée l’ambassadeur d’Angleterre et l’abbé Montaigu, il demeura enfermé avec eux jusques à quatre heures ; on dit qu’il pressa fort ledit ambassadeur d’aller à Saint Germain, qui s’en excusa, et à son refus l’abbé de Montaigu a fait ce voyage là ce matin.
On parle diversement par Paris du sujet de cette détention. On dit que l’évêque de Langres étant mort, qui était cet abbé de La Rivière qui avait tant eu de crédit auprès de feu M. le duc d’Orléans, a laissé vacantes deux abbayes valant de revenu 40000 livres, qu’elles sont dans l’apanage de Monsieur et par conséquent de sa nomination ; que, les ayant données au chevalier de Lorraine et en ayant demandé l’agrément au Roi, il lui répondit [p. 387] que, n’étant pas prêtre, il en avait du scrupule et qu’alors il se passa entre eux quelques paroles d’aigreur. Mais ceux qui savent l’état des choses et qui en jugent sainement croient que le roi d’Angleterre a voulu la prison de ce chevalier, lui imputant les mauvais traitements que reçoit Madame, ceux que l’on a faits à madame de Saint Chaumont et à M. l’évêque de Valence, ses créateurs. En effet, bien que Madame suive Monsieur, elle a de la joie du malheur du chevalier de Lorraine et d’avoir l’avantage de s’être vengée du crédit du roi, son frère, que l’on ne veut pas maintenant fâcher ici.
On dit que Monsieur persiste dans la résolution de partir de Rueil pour Villers Cotterets, quoique MM. Le Tellier et de Lauzun soient venus aujourd’hui de Saint Germain pour lui parler. Il pourrait bien avoir le loisir de s’en repentir : s’il est bien conseillé, il se soumettra aux volontés du Roi ; il ne sera suivi que par ceux de sa maison et s’y divertira mal. Il n’est plus le temps d’autrefois que, quand un Fils de France se retirait de la Cour mal satisfait et était une fois à trois lieues de Paris, l’on croyait le royaume bouleversé et [p. 388] en péril ; chacun armait pour son parti et les mécontents levaient le masque ; présentement personne ne bougera, tout le monde est soumis dans le devoir et dans la crainte, le Roi dans la souveraine puissance, fort en argent et en troupes, maître des parlements, des places et de tout ce qui es dans son royaume. »

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