« Ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts
Direction des Musées nationaux
Musée de Saint-Germain
Château de Saint-Germain-en-Laye (Seine-et-Oise)
Le 15 janvier 1888
Monsieur le Directeur,
L’année dernière, en vue du centenaire de 1889, j’avais, de concert avec monsieur le directeur des Bâtiments civils et M. de Ronchaux, dressé le budget d’installation de salles nouvelles qui se montent à cinquante mille francs, projet que vous aviez accepté comme directeur des Beaux-Arts. Les demandes de budget supplémentaire n’ayant pu être présentées à la Chambre en temps opportun, rien n’a encore été fait et nous nous trouvons une année en retard. Cependant, quelques salles sont déjà à moitié organisées sans pouvoir être livrées au public, qui sait qu’elles existent et qui les réclame. Monsieur le directeur des Bâtiments civils craint que l’ensemble des demandes de crédit de cet ordre ne puisse passer, cette année, à la Chambre que dans plusieurs mois. Ce retard nous serait fatal.
Dans cette situation, j’ai dressé la liste des dépenses indispensables au bon fonctionnement de nos services. J’ai pu les réduire à la somme de douze mille francs. J’ai l’honneur de vous prier de transmettre ce devis, avec votre approbation, à monsieur le directeur des Beaux-Arts en le priant de l’appuyer auprès de monsieur le directeur des Bâtiments civils. J’espère que vous voudrez bien faire vous-même une démarche directe et pressante en ce sens.
Les dépenses se répartissent ainsi :
1° Colonne Trajane. Deux nouveaux tambours, au lieu de cinq projetés : 3000 f.
Les fragments de la colonne Trajane qui sont en galvano de médiocre qualité se détériorent dans nos magasins. Nous avons là, comme je n’ai cessé de le répéter, une valeur de plus de cent cinquante mille francs dont nous ne tirons aucun parti. Pour voir la colonne qui a été moulée aux frais de la France, il faut aller en Angleterre, qui en a pris un surmoulage. Cette situation ne peut durer et étonnerait tous les visiteurs en 1889.
2° Salle XVII. La salle XVII est une des plus intéressantes du musée. Elle contiendra, outre la grande carte murale, au 320 millième, de la Gaule indépendante au moment où y entrèrent les légions romaines, carte sur toile que la maison Erhard frères doit nous livrer ces jours-ci, la grande découverte de Neury-en-Sullais, dépouilles d’un temple gaulois du 1er siècle de notre ère, plus une magnifique série de poteries samiennes et, enfin, un ensemble des plus curieux des traces de l’occupation par nos pères, dès une époque très reculée, de toute la rive droite du Rhin ainsi que des vallées du Danube et de la Save jusqu’à la hauteur de Buda-Pesth. La peinture de cette salle est achevée. Il ne s’agit plus que de la meubler. L’architecte m’assure qu’une somme de 7500 francs suffirait à ces travaux. Soit : 7500 f.
3° Salles XXIV et XXV. Salles des costumes et arts et métiers. Parmi les antiquités gallo-romaines, il n’en est pas de plus précieuses, au point de vue historique, que les stèles funéraires des patrons de corporation où le défunt est représenté en costume de travail, ses outils près de lui. C’est la révélation d’une sorte de tiers-état qui joua un très grand rôle en Gaule, à l’époque des Antonins, au moment de la plus grande prospérité de la Gaule, tiers-état auquel les historiens font à peine allusion et que l’archéologie met en évidence. Une carte de la Gaule au 320 millième comme celle de la Gaule indépendante, sur laquelle sont tracées les voies romaines et les divisions des cités établies par Auguste complètera les renseignements relatifs à cette période. Cette carte sera livrée par la maison Erhard frères avant la fin du mois. Tous les éléments de constitution de ces deux salles sont entre nos mains. L’architecte demande pour leur installation une somme de quinze cents francs seulement : 1500 f.
En résumé, une somme de douze mille francs (3000 + 7500 + 1500) suffira à l’érection de deux nouveaux tronçons de la colonne Trajane et à l’achèvement de trois grandes salles qui compteront parmi les plus intéressantes du musée.
Nous obtiendrons ainsi, à peu de frais, un résultat très important et pourrons nous présenter, avec honneur, aux nombreux visiteurs étrangers qu’attirera le centenaire.
Veuillez agréer, Monsieur le Directeur, l’assurance de mes sentiments les plus distingués et les plus dévoués.
Alexandre Bertrand, membre de l’Institut »